L'empereur des rois
ne veux pas faire une chose en ayant l’air de la vouloir.
Il rit, puis tout à coup son visage se ferme et il dit d’une voix sourde :
— L’Autriche veut donc nous faire la guerre, ou elle veut nous faire peur ?
Metternich paraît surpris, dénie les intentions belliqueuses de Vienne.
— Si cela est ainsi, pourquoi vos immenses préparatifs ? Votre milice vous donnera quatre cent mille hommes disponibles, enrégimentés, exercés. Vos places sont approvisionnées. Enfin, ce qui est pour moi l’indice sûr d’une guerre qu’on prépare, vous avez fait acheter des chevaux, vous avez maintenant quatorze mille chevaux d’artillerie.
Il se maîtrise pour ne pas hausser le ton, montrer que l’on est si fort qu’on ne peut être inquiété par les mesures autrichiennes.
— Vous vouliez me faire peur ? reprend-il. Vous n’y réussirez pas. Vous croyez les circonstances favorables pour vous ? Vous vous trompez.
Il continue de marcher d’un pas tranquille cependant que les autres ambassadeurs les observent.
— Ma politique est à découvert parce qu’elle est loyale, continue-t-il. Je vais tirer cent mille hommes de mes troupes d’Allemagne pour les envoyer en Espagne, et je serai encore en mesure avec vous. Vous armez, j’armerai. Je lèverai s’il le faut deux cent mille hommes ; vous n’aurez pour vous aucune puissance du Continent.
Il raccompagne lentement Metternich vers les ambassadeurs.
— Vous voyez combien je suis calme, dit-il.
Puis il le retient par le bras.
— Les Bourbons sont mes ennemis personnels, eux et moi nous ne pouvons occuper en même temps des trônes en Europe.
Voilà la raison profonde de l’affaire d’Espagne.
— Ce n’est pas un motif d’ambition.
Il salue les autres ambassadeurs, puis se retire.
Ce sont des jours d’attente comme ceux qui précèdent l’assaut. Il n’est pas impatient. Il mesure chaque geste et chaque parole afin d’analyser et de prévoir.
Il doit d’abord s’assurer de la paix au nord, en Allemagne. Metternich a été convaincu. Vienne restera l’arme au pied. Il faut à tout prix maintenir l’alliance avec Alexandre, et donc le rencontrer.
Si je lui parle, je le convaincs .
Le rendez-vous est fixé à Erfurt, à la fin septembre 1808. Cela laisse quelques mois de paix, le temps de vaincre en Espagne, puis, si besoin est, de revenir en Allemagne et de briser définitivement l’Autriche comme la Prusse a été laminée.
C’est une partie d’échecs.
Il marche dans son cabinet de travail. Il chasse dans la forêt de Saint-Germain ou bien dans les futaies de Grosbois, chez le maréchal Berthier. Il passe en revue des troupes à Versailles, dans la plaine des Sablons.
Et, à chaque seconde, il a l’échiquier en tête. Il anticipe. Il prépare Jérôme à ce qui peut survenir, plus tard, en Allemagne. Et, comme roi de Westphalie, Jérôme doit être prêt.
« Il est incalculable, ce qui peut se passer d’ici au mois d’avril », lui dit-il. Il lui transmet une lettre de Stein, le ministre prussien de Frédéric-Guillaume III, que la police a saisie. Elle est adressée au général Wittgenstein, un Prussien qui sert dans l’armée russe. Stein annonce qu’il prépare une insurrection nationale dans toute l’Allemagne. Les Français seront attaqués, le pays dévasté si besoin est, tout le peuple sera appelé aux armes, les princes et les nobles seront déchus s’ils ne se joignent pas au mouvement.
Stein croit-il que je vais attendre ?
Une fois l’Espagne soumise, il faudra revenir en Allemagne. Je déplacerai la Grande Armée, qui est la reine de mon échiquier .
Il entre dans la salle des Cartes. Sur celle d’Espagne, des épingles indiquent la marche de trois colonnes espagnoles qui se dirigent vers l’Èbre. Il faut les laisser progresser.
Il ferme les yeux. Le plan de la contre-attaque se dessine.
Mais il faut des hommes. On lèvera par anticipation la classe 1810, et les exemptés de 1806 à 1809 seront appelés sous les armes.
On grogne ? La chasse à l’épouse est ouverte parce que les hommes mariés sont exemptés du service militaire ?
J’ai besoin d’hommes. Que la gendarmerie impériale traque les insoumis. Et qu’on donne 3 francs à chaque soldat lorsque les unités qui vont d’Allemagne en Espagne rentrent en France .
— Faites faire à Paris des chansons que vous enverrez dans les villes où passent les soldats, dit-il à Maret. Ces chansons parleront
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