L'empereur des rois
encore, déjà !
Napoléon quitte le château de Marracq le 20 juillet. La chaleur est torride. Sur la route d’Auch, de Toulouse, de Montauban, d’Agen, la canicule est accablante. On roule de nuit afin d’éviter le soleil qui, dès l’aube, incendie la campagne.
Napoléon a décidé de regagner Paris. Il a choisi de colmater les brèches qui s’ouvrent au nord, pour pouvoir, plus tard, régler la question d’Espagne, si l’insurrection n’est pas écrasée d’ici là. Il y compte. Il l’espère.
À chaque étape, il guette l’arrivée des courriers.
À Bordeaux, le 2 août, il perçoit l’émotion de l’aide de camp qui lui tend la dépêche. Il la parcourt d’un seul regard. Le général Dupont a capitulé à Baylen devant les troupes et les insurgés espagnols du général Castanos. Vingt mille hommes ont rendu leurs armes et leurs drapeaux, en échange de la promesse d’être rapatriés !
Napoléon jette la dépêche à terre, hurle :
— Bête ! Imbécile ! Poltron ! Dupont a perdu l’Espagne pour sauver ses bagages !
Il donne des coups de pied dans la dépêche.
— C’est une tache sur son uniforme ! crie-t-il.
Il se fait apporter les cartes, les dépêches successives qu’avaient envoyées Dupont. Il écrit au général Clarke, ministre de la Guerre.
« Je vous envoie des pièces pour vous seul ; lisez-les, une carte à la main, et vous verrez si, depuis que le monde existe, il y a eu rien de si bête, de si inepte, de si lâche… Tout ce qui est arrivé est le résultat de la plus inconcevable ineptie. »
Il enrage. Il est seul. La lâcheté, l’aveuglement, la bêtise de ceux qui le servent sont ses premiers ennemis.
Mais il faut faire face.
À Rochefort, le vendredi 5 août, il s’enferme avec ses généraux et quelques ministres arrivés de Paris ; qu’on dirige la moitié des troupes stationnées en Allemagne vers l’Espagne. Que le maréchal Ney en prenne le commandement.
Puis il s’isole.
C’est la première fois depuis qu’il commande et gouverne, depuis qu’il règne et combat dans toute l’Europe, que des unités de son armée capitulent.
La première fois.
Il serre les dents. Il maîtrise cette douleur qui ronge son estomac. Il sait bien qu’autour de lui les ennemis sont à l’affût. Cette perte de vingt mille hommes va résonner dans toute l’Europe.
Il lance un ordre. Un courrier doit partir, brûler toutes les étapes, atteindre Saint-Pétersbourg avant que la nouvelle de la capitulation de Baylen soit parvenue à Alexandre I er .
Ne jamais laisser soupçonner que l’on est affaibli, précéder la réaction de l’autre, lui laisser entendre que l’on est prêt à évacuer, comme il le désire, la Prusse, lui suggérer une rencontre. Montrer que l’on ne craint rien. Que l’on est plus déterminé et plus puissant que jamais.
Il rentre à Paris par les villes de l’Ouest, La Rochelle, Niort, Fontenay.
Le lundi 8 août, il pénètre dans Napoléon-Vendée. Il se souvient. Il avait décidé la construction de cette ville le 25 mai 1804, alors que les mois s’appelaient encore Prairial et l’année, An XII. Il avait voulu effacer le nom de La Roche-sur-Yon, et montrer qu’il avait pacifié la Vendée.
Il parcourt les rues de la bourgade. Est-ce là sa ville ? Des maisons en pisé ? Des casernes en torchis ?
La colère le submerge.
Il tire son épée, et d’un geste violent il l’enfonce jusqu’à la garde dans les murs de terre.
Est-ce là construire pour l’avenir ?
Il s’assombrit. Tout est peut-être ainsi, friable. Sa gloire, sa dynastie, son Empire.
Est-ce une raison pour renoncer ? Il appelle l’ingénieur, le destitue, donne des ordres.
Seule l’action sauve.
Il a appris depuis l’enfance qu’on ne gagne rien à baisser la tête.
Si tous avaient la même expérience que lui, il ne se sentirait pas si seul, contraint à chaque instant de les inciter à résister, à combattre.
Dans la berline qui roule vers Saint-Cloud, il écrit à Joseph.
« Vous êtes aux prises, mon ami, avec des événements au-dessus de votre habitude autant qu’au-dessus de votre caractère naturel.
« Dupont a flétri nos drapeaux. Des événements d’une telle nature exigent ma présence à Paris. Ma douleur est vraiment forte lorsque je pense que je ne puis être en ce moment avec vous, au milieu de mes soldats.
« Dites-moi que vous êtes gai, bien portant et vous faisant au métier de soldat ;
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