L'empereur des rois
Berthier, il entre enfin dans Erfurt, cette enclave française dans la Confédération du Rhin.
La voiture longe la rivière Gera, les escadrons de la Garde l’entourent. La foule se presse déjà autour du palais du Lieutenant de l’Électeur de Mayence, devenu l’hôtel du Gouvernement. Là sera la résidence impériale. Il voit les troupes qui sont rangées sur la place voisine, le Hirschgarden.
Il salue à peine les maréchaux, lance des ordres, dicte une lettre à Cambacérès. Mais il ne veut pas perdre de temps. Il lui faut influencer chacun des participants à cette réunion. Il se rend auprès du roi de Saxe. Mais c’est Alexandre qu’il doit amener à ses vues.
À 14 heures, il est à cheval. Les montures des maréchaux qui l’entourent piaffent. L’escadron de la Garde se tient en arrière cependant que le cortège s’avance sur la route de Weimar à la rencontre du tsar.
Les premiers instants vont être aussi décisifs que le premier engagement d’une bataille.
À Münchenholzen, il s’arrête et voit s’approcher la voiture d’Alexandre I er . Alexandre descend. Napoléon met pied à terre. Il embrasse le tsar. Puis c’est la chevauchée vers Erfurt. Il se tient à la hauteur d’Alexandre. Les états-majors se sont mêlés. Dans l’air vif, les sabots soulèvent une légère poussière blanche.
Les cloches de toutes les églises sonnent. Les canons tonnent. Les troupes, dans leurs uniformes colorés, rendent les honneurs.
— L’empereur me paraît disposé à faire tout ce que je voudrai, dit Napoléon à Talleyrand quand il se trouve seul avec lui dans le palais.
Il marche, cependant que Constant et Roustam lui présentent les habits de cérémonie.
— S’il vous parle, reprend Napoléon, dites-lui que ma confiance en lui est telle que je crois qu’il vaut mieux que tout se passe entre nous deux. Les ministres signeront après.
Il réfléchit.
— Souvenez-vous bien, dans tout ce que vous direz, que tout ce qui retarde m’est utile. Le langage de tous ces rois sera bon. Ils me craignent.
Il faut que la partie dure. L’empereur d’Autriche et le roi de Prusse, qui ne viendront pas à Erfurt, imagineront le pire pour eux si les conversations se prolongent dans le faste et dans une atmosphère de fête.
On annonce Alexandre. Napoléon lui ouvre les bras, lui présente Talleyrand.
— C’est une vieille connaissance, lui dit le tsar, je suis charmé de le voir. J’espérais bien qu’il serait du voyage.
Napoléon regarde Talleyrand, puis Caulaincourt, l’ambassadeur à Saint-Pétersbourg, qui est arrivé à Erfurt avec le tsar. Ces deux hommes lui paraissent proches. Sont-ils complices ? Ils ont à l’égard du tsar une déférence excessive. Il s’irrite. Il veut écarter ces soupçons qui le tenaillent. Il saura convaincre Alexandre I er .
Le lendemain, mercredi 28 septembre 1808, dans l’hôtel du Gouvernement, il attend l’arrivée du baron de Vincent, qui est porteur d’une lettre de l’empereur d’Autriche François I er . L’atmosphère du salon est étouffante. Les maréchaux se pressent autour de la table. Le tsar est entouré de ses officiers. Napoléon l’entend qui parle allemand avec l’archiduc Charles.
Talleyrand, impassible, est à quelques pas de l’autre côté de la table. Dans la pénombre, Napoléon aperçoit Caulaincourt. Décidément, il n’aime pas ce duo.
Ce matin, dans ses conversations avec Alexandre, il a eu l’impression que le tsar se dérobait, refusait d’évoquer la question d’une alliance contre l’Autriche, dans le cas où celle-ci attaquerait la France. Il a noté chez Alexandre une détermination inattendue, de la réserve et de la froideur derrière la politesse maniérée et les déclarations amicales.
Ce n’est qu’une première rencontre, mais la résistance du tsar est surprenante.
Il semble ne pas vouloir se laisser envelopper. Comme s’il connaissait ma manoeuvre et mon but .
Napoléon glisse la main gauche dans son gilet. Il tend la droite au baron de Vincent qui lui présente la lettre de l’empereur d’Autriche. Il va lire la lettre, dit-il, recevoir le baron en audience particulière jeudi. Il se retire. Les dépêches qui arrivent de Vienne confirment que l’Autriche continue à s’armer, qu’elle refuse de reconnaître Murat comme roi de Naples et Joseph comme roi d’Espagne.
Que veut-elle ? Si Alexandre refuse de peser sur Vienne, ce sera la guerre. Il faut
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