L'énigme de l'exode
a-t-elle ? interrogea Naguib.
— Attendez mon rapport.
— S’il vous plaît. J’ai besoin de pistes, pour travailler.
— Treize, quatorze ans, répondit le légiste en soupirant. À peu de choses près. Et l’épaule droite montre des signes de dislocation post-mortem.
— En effet, déclara Naguib, qui avec un rien de vanité, se félicitait d’avoir repéré ce détail lui-même. La rigidité cadavérique s’est peut-être installée avant que le cadavre ne puisse être enterré, alors que la victime avait le bras au-dessus de la tête. Dans ce cas, l’épaule a pu être disloquée tandis qu’on tentait d’envelopper le corps dans la bâche.
— Peut-être, marmonna le légiste, qui n’était visiblement pas du genre à faire des conjectures à l’aveuglette.
— Cela ferait combien de temps après la mort ?
— Ça dépend. Plus il fait chaud, plus la rigidité cadavérique progresse rapidement. Cependant, elle disparaît tout aussi vite. Et si la victime a couru ou s’est débattue, elle s’installe encore plus rapidement.
Naguib inspira profondément pour ne pas laisser transparaître son impatience.
— Approximativement.
— En théorie, expliqua le légiste, les épaules sont les derniers groupes musculaires à se rigidifier. La processus débute au moins trois heures, souvent six ou sept heures après la mort. Ensuite...
Il secoua la tête.
— Ça peut durer entre six heures et deux jours.
— Il faut compter un minimum de trois heures, c’est ça ?
— En général, mais il y a des exceptions.
— Il y a toujours des exceptions.
— Oui.
Le légiste prit délicatement entre ses doigts les petits maillons d’une chaîne que la victime portait autour du cou et sur laquelle était suspendue une amulette en argent, une croix copte. Il tourna la tête vers Naguib. Pas de doute, ils pensaient tous deux à la même chose. Encore une victime copte. Décidément, c’était l’hécatombe.
— C’est un assez beau bijou, murmura le légiste.
— En effet.
Ce constat écartait la thèse du vol. Le légiste souleva la jupe de la fille mais les sous-vêtements, bien que défraîchis, étaient intacts. Aucun signe d’agression sexuelle. À dire vrai, aucun signe d’agression tout court ; à l’exception, bien sûr, du coup qu’elle avait reçu derrière la tête.
— Sauriez-vous dire depuis combien de temps elle est là ? demanda Naguib.
— Je n’ai aucune certitude, répondit le légiste. Il faut que je pratique une autopsie.
Naguib acquiesça. Il comprenait. Dans le désert, les cadavres se conservaient particulièrement bien. Qu’ils soient là depuis un mois, une année ou une décennie, ils se ressemblaient tous.
— Et la cause de la mort ? Le coup sur la tête, n’est-ce pas ?
— C’est trop tôt pour le dire.
Naguib ne put réprimer une grimace.
— Dites toujours, insista-t-il. Cela restera entre nous.
— Vous dites tous ça. Et après, on vient me demander des comptes.
— D’accord. Si ce n’est pas le coup sur la tête, alors on lui a peut-être brisé la nuque ?
Le légiste tapota nerveusement du pouce sur son genou, hésitant entre parler et garder le silence.
— Vous voulez vraiment savoir ce que je pense ? finit-il par demander.
— Oui.
— Ça ne va pas vous plaire.
— Dites toujours.
Le légiste se leva. Les mains sur les hanches, il embrassa d’un regard le sable jaune et aride du désert Oriental, qui s’étendait à perte de vue en chatoyant sous l’effet de la chaleur, et dont seules les falaises d’Amarna rompaient la monotonie.
— Très bien, lâcha-t-il avec un sourire, conscient de l’incongruité de ce qu’il allait dire. Selon moi, cette fille s’est noyée.
III
Knox trouva Omar Tawfiq à genoux dans son bureau, un tournevis à la main, devant les entrailles éparpillées d’un ordinateur.
— Vous n’avez pas assez de travail comme ça ?
— Les gars de la maintenance informatique ne seront pas disponibles avant demain, expliqua Omar.
— Recrutez-en d’autres.
— Ils me coûteront plus cher.
— Oui, parce qu’ils seront là quand vous aurez besoin d’eux.
Omar haussa les épaules, comme pour admettre que la remarque était recevable sans avoir pour autant la moindre intention d’en tenir compte. Jeune homme d’allure particulièrement juvénile, il avait récemment été promu directeur par intérim du Conseil suprême des Antiquités d’Alexandrie. Mais tout le monde savait que Yusub
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