L'énigme des blancs manteaux
affaires, poursuivit Sartine, l'une particulièrement délicate, car elle engage la réputation de mes gens. Berryer, mon prédécesseur, m'a transmis le mistigri à son départ des affaires. Je m'en serais bien passé. Sachez, monsieur, que mon chef du Département des jeux, rouage essentiel de la police, le commissaire Camusot, est soupçonné, depuis des années, de protéger des officines clandestines. En tire-t-il profit ? Chacun sait que la frontière entre l'utilisation nécessaire des mouchards et des compromissions condamnables est bien étroite. Camusot a une âme damnée, un certain Mauval. Ce personnage est dangereux. Méfiez-vous-en. Il sert d'intermédiaire pour organiser des parties truquéesavec des provocateurs. De là, descentes de police et saisies. Et vous savez que les confiscations, suivant les ordonnances...
Il fit un signe de tête interrogateur.
— Une partie des sommes confisquées revient aux officiers de police, dit Nicolas.
— Voilà bien le bon élève de M. Noblecourt ! Compliments. Lardin travaillait également sur une autre affaire dont je ne peux vous parler. Qu'il vous suffise de le savoir et de vous souvenir qu'elle nous dépasse. Vous ne me paraissez pas, outre mesure, surpris de mes propos. Pourquoi dois-je vous parler ainsi ?
Il ouvrit sa tabatière, puis la referma sèchement, sans priser.
— En fait, reprit-il, je suis entraîné par la nécessité et dois avouer que, dans cette occurrence, il me faut sortir des sentiers battus. Voici une commission extraordinaire qui vous donnera tout pouvoir pour enquêter et requérir l'aide des autorités. Je préviendrai de cela le lieutenant criminel et le lieutenant du guet. Quant aux commissaires des quartiers, vous les connaissez déjà tous. Prenez les formes, cependant, tout en restant ferme avec eux, sans rompre en visière. N'oubliez pas que vous me représentez. Élucidez-moi ce mystère, car il y a apparence qu'il en ait un. Mettez-vous à la tâche immédiatement. Commencez par les rapports de nuit, qui sont souvent fort éloquents. Il faudra savoir les rapprocher, joindre les parties cohérentes et tenter de faire cohérer les parties disparates.
Il tendit à Nicolas le document déjà signé.
— Ce sésame, monsieur, vous ouvrira toutes les portes y compris celles des geôles. N'en abusez pas. Avez-vous quelque demande à me soumettre ?
D'une voix calme, Nicolas s'adressa au lieutenant général.
— Monsieur, j'ai deux requêtes...
— Deux ? Vous voilà bien hardi, soudain !
— Premièrement, je souhaiterais pouvoir disposer de l'inspecteur Bourdeau pour me seconder dans ma tâche...
— L'autorité vous vient au grand galop. Mais j'approuve votre choix. Il est essentiel de savoir juger des hommes et des caractères, et Bourdeau m'agrée. Et encore ?
— J'ai appris, monsieur, que les informations ne sont pas marchandises gratuites...
— Vous avez parfaitement raison et j'aurais dû y songer avant vous.
Sartine se dirigea vers l'angle de la pièce et ouvrit la porte d'une armoire-coffre. Il en sortit un rouleau de vingt louis qu'il tendit à Nicolas.
— Vous me rendrez compte exactement et fidèlement de tout ce que vous entreprendrez et tiendrez les comptes de cet argent. S'il vient à manquer, demandez. Allez, il n'est que temps. Faites au mieux et retrouvez-moi Lardin.
Décidément, M. de Sartine surprendrait toujours Nicolas ! Il sortit de son cabinet tellement ému que, si le poids du rouleau d'or n'avait pas autant tiré sur la poche de son habit, il se serait pincé pour vérifier que tout cela n'était pas un songe. La joie d'avoir été distingué et chargé d'une mission importante le cédait pourtant devant une sourde angoisse. Serait-il à la hauteur de la confiance mise en lui ? Il pressentait déjà les obstacles qui ne manqueraient pas de s'accumuler sur sa route. Son âge, son inexpérience et les chausse-trappes que susciterait immanquablementune faveur aussi déclarée, compliqueraient encore sa tâche. Et pourtant, il se sentit prêt à affronter cette nouvelle épreuve. Il la comparait à celle des chevaliers dont les aventures emplissaient les ouvrages de la bibliothèque du château de Ranreuil.
Cette idée le ramena vers Guérande ; la douleur était toujours là avec les visages de son tuteur, du marquis et d'Isabelle... Il lut la commission que Sartine lui avait remise.
« Nous vous mandons que le porteur du présent ordre, M. Nicolas Le Floch, est, pour le bien de
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