L'énigme des blancs manteaux
l'État, placé en mission extraordinaire et nous représentera dans tout ce qu'il fera et jugera bon d'ordonner, en exécution des instructions que nous lui avons données. Mandons aussi à tous les représentants de la police et du guet de la prévôté et vicomté de Paris de lui apporter aide et assistance en toutes occasions, à quoi sommes assurés que vous ne ferez faute. »
Cette lecture emplit Nicolas de fierté et il se sentit investi d'une autorité nouvelle. Il perçut tout d'un coup ce qu'était le « service du roi » et sa grandeur.
Assuré d'être le modeste instrument d'une œuvre qui le dépassait, il rejoignit le bureau de l'Hôtel de police où étaient centralisés les rapports des commissaires et des rondes du guet. Il verrait Bourdeau plus tard et voulait se mettre sans attendre à son travail de recherche, comme Sartine le lui avait ordonné.
Nicolas était connu des commis ; il fut donc reçu sans questions intempestives. On lui communiqua les derniers rapports de nuit, et il se plongea dans la lecture répétitive des petits événements qui émaillaient les nuits et les jours de la capitale, dans cette période agitée du carnaval. Rien n'attira son attention. Il se pencha avec plus d'intérêt encore sur les copies des registres de la Basse-Geôle 2 qui dénombraient lestrouvailles macabres rejetées par la Seine, un filet tendu en aval de Paris permettait de retenir les corps flottants, dérivant dans les eaux du fleuve. Là, non plus, la morne répétition des mentions ne lui fournit aucun indice.
« Un cadavre masculin, que l'on nous a dit s'appeler Pacaud, a été suffoqué par les eaux. »
« Un cadavre masculin d'environ vingt-cinq ans, sans plaie ni contusion, mais portant les signes d'une suffocation par les eaux. »
« Un cadavre masculin d'environ quarante ans, sans plaie ni contusion, mais aux signes que nous avons vus estimons que le dit particulier est mort d'apoplexie terreuse. »
« Un corps d'enfant sans tête, que nous estimons avoir servi aux démonstrations anatomiques et avoir séjourné sous les eaux. »
Nicolas repoussa le registre et mesura l'ampleur de la tâche qu'on lui avait confiée. Il retombait dans le doute. Se pouvait-il que M. de Sartine se fût moqué de lui ? Peut-être ne souhaitait-il pas qu'on retrouvât Lardin ? Confier une telle enquête à un débutant était peut-être une façon de l'enterrer. Il écarta ces mauvaises pensées et décida de se rendre au Châtelet, afin d'y visiter la Basse-Geôle et de se concerter avec l'inspecteur Bourdeau.
Les recherches de l'inspecteur avaient été tout aussi infructueuses que les siennes. Nicolas ne savait comment faire part à l'inspecteur des décisions de M. de Sartine. Il trouva plus simple de lui tendre, sans un mot, les ordres du lieutenant général de police. Bourdeau, en ayant pris connaissance, releva la tête et, considérant le jeune homme avec un bon sourire, dit seulement :
— Cela s'appelle une nouvelle. J'ai toujours suque vous iriez vite et loin. Je suis heureux pour vous, monsieur.
Il y avait du respect dans son ton et Nicolas, touché, lui serra la main.
— Cependant, reprit Bourdeau, vous n'êtes pas au bout de vos peines. Il ne faut pas sous-estimer la difficulté. Mais vous avez pleins pouvoirs et, si je puis vous aider, n'hésitez pas à faire fond sur moi.
— Précisément, M. de Sartine m'a autorisé à disposer d'une aide. À vrai dire, j'ai sollicité quelqu'un pour me seconder. J'ai proposé un nom. En fait, le vôtre. Mais, je suis très jeune et inexpérimenté et je comprendrais fort bien que vous me refusiez.
Bourdeau était rose d'émotion.
— N'ayez aucun scrupule. Nous sommes hors des règles. Je vous observe depuis que vous nous avez rejoints, et la valeur n'attend pas... Je suis flatté que vous ayez pensé à moi et il me plaît de travailler sous votre autorité.
Ils demeurèrent un moment silencieux, et ce fut Bourdeau qui continua :
— Tout cela est fort bon, mais le temps presse. J'ai déjà parlé au commissaire Camusot. Il n'a pas vu Lardin depuis trois semaines. M. le lieutenant général vous en a-t-il parlé ?
Nicolas se dit, à part, lui que M. de Sartine se faisait des illusions sur le secret des enquêtes et ne répondit pas à la question de l'inspecteur.
— Je voudrais visiter la morgue. Non que j'aie trouvé quelque chose dans les rapports, mais il faut ne rien négliger.
Bourdeau tendit sa tabatière ouverte à Nicolas qui, pour
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