L'énigme des blancs manteaux
recousus par endroits, dit timidement Antoinette.
Il sortit du lit pour s'habiller, puis il fouilla dans ses poches et en sortit le jeton trouvé dans le pourpoint de cuir. Il le lui montra.
— Tu reconnais cela?
Elle éleva l'objet au-dessus du bougeoir pour l'examiner.
— C'est un jeton du Dauphin couronné, mais pas celui habituel. Ce modèle est donné par la Paulet à ses amis pour s'amuser gratis. Tu vois, il n'y a pas de numéro à l'envers.
— Celui de ton client en portait-il un ?
— Oui, le 7.
— Je te remercie, Antoinette. Voici quelque argent pour la nourrice...
Il s'arrêta, confus, et la reprit dans ses bras.
— Ce n'est pas pour cette nuit, tu comprends cela? Je ne voudrais pas que tu croies... C'est pour l'enfant.
Elle lui sourit gentiment et tapota son habit.
Lorsque Nicolas se retrouva dans la rue, quelque chose s'était brisé en lui. Il était loin de la fébrilité joyeuse qui l'avait saisi au sortir de chez la Paulet. Il subissait le contrecoup des derniers événements et éprouvait un remords qu'il ne parvenait pas à s'expliquer. Il était également obsédé par l'idée que Semacgus l'avait trompé : le chirurgien redevenait un suspect, et non des moindres, s'il s'avérait que le corps retrouvé était bien celui de Lardin.
Le jour tardait à se montrer. Le dégel commençait et Nicolas ne voyait pas à trois pas. La rue était une sorte de tunnel noir empli d'un épais brouillard. Il marchait à l'aveuglette, pataugeant dans des gadoues immondes, heurtant des ombres blafardes, incertaines, qui se hâtaient ou semblaient piétiner en silence. Parfois, la nappe s'entrouvrait, laissant apparaître les murailles brunes des maisons; il fut contraint, un long moment, de les suivre en tâtonnant.
La traversée des rues était périlleuse, et Nicolas conservait de l'agression de la veille la peur d'entendre surgir derrière lui une voiture qui tenterait à nouveau de l'écraser. Il n'avait jamais autant songé à sa mort qu'aujourd'hui. Il mesurait, plus encore que dans l'église de Guérande, lors des funérailles de son tuteur, la fragilité de l'être humain. Que sa tête eût porté un peu plus rudement sur le pavé, et il serait, à cette heure, un de ces débris disloqués et sanglants que la pierre froide de la Basse-Geôle recueillait chaque matin. Il aurait voulu prendre un fiacre, mais où en trouver au milieu de ces nuées? Il se souviendrait longtemps de cette errance, qui lui parut durer des siècles. L'aube, peu à peu, s'ébauchait avec effort. Une clarté pâle dominait les ténèbres des rues. Nicolas retrouva des visages et un semblant de vie reprit autour de lui avec ses cris et ses appels habituels. Après s'être égaré plusieurs fois, il finit par se retrouver rue Saint-Germain-l'Auxerrois et, de là, regagna le Châtelet par la grande boucherie et la rue Saint-Leuffroy.
Au moment où il s'engageait sous le porche obscur de l'édifice, une voix l'appela par son nom. Il se retourna et se trouva devant une sorte de trapèzeambulant dont le centre était constitué par un homme coiffé d'un haut chapeau. Il semblait avoir des ailes repliées de chaque côté de son corps. Nicolas reconnut Jean, un Breton de Pontivy, et son chalet de nécessités. Plus connu sous le nom de « Tirepot », ce personnage s'était pris d'amitié pour lui et le faisait profiter des observations que son occupation lui permettait de recueillir au cours de ses déambulations à travers la ville. Ce n'était pas une mouche attitrée, mais une sorte d'officine de renseignements et d'anecdotes, une chronique vivante de la capitale. Ses informations s'étaient souvent révélées fort utiles.
Les latrines publiques manquaient cruellement à Paris et le promeneur était fort embarrassé, dans les rues populeuses, quand le besoin le pressait. Sauf à chercher un endroit désert, difficile à trouver, ou à se soulager dans une maison inconnue, avec tous les risques que cela comportait, on avait recours à ce personnage curieux, qui dissimulait, sous une ample robe de toile, deux seaux suspendus à une barre transversale portée sur les épaules. Tirepot avait perfectionné le système en se fixant, en bas du dos, un tabouret qui lui permettait de s'asseoir pendant que ses pratiques officiaient, ce qui facilitait la conversation.
— Nicolas, installe-toi, j'ai des choses graves à te conter.
— Je n'ai pas le temps. Mais reste dans les parages, je te verrai tout à l'heure.
Jean
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