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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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morts… Des monceaux de morts… Et ces cris qui sourdaient des fenêtres, des porches… On brûlait les corps par centaines… Par milliers ! Des gens tombaient dans les rues puantes, remuaient en criant puis… plus rien…
    — Il déraisonne, dit Loïs de Saveuse.
    Barbeyrac, qui ne cessait de regarder au sud, fit entendre un petit rire de satisfaction :
    — La haute mer… À la fin de ce jour, quand on touchera terre, je me roulerai comme un chien dans l’herbe ou sur le sable.
    — Il faut porter cet homme dans l’entrepont, dit Ogier. Voyez comme il tressaille.
    Kemper frissonnait de fièvre autant que de male peur. Un sourd gémissement fluait de ses lèvres pincées. Comme un coup de roulis le renversait sur le côté, Ogier l’attrapa, fit signe à Barbeyrac qui, voyant la face exsangue et suante du malheureux, décida :
    — Nous allons te porter à l’intérieur. Nous t’y allongerons. Il nous faut t’examiner, alors, nous te soignerons.
    — C’est la peste… Écartez-vous… Je vous dis que mon aine gonfle !
    Ils emportèrent le malade et comme Ogier, qui le tenait par les chevilles, s’arrêtait pour reprendre haleine sur l’escotard [18] , Kemper hurla :
    — Je vais mourir, je le sais !
    Le premier entrepont s’étendait, sans la moindre cloison séparative, depuis le mur latté de ce qui semblait être la cuisine, à la proue, jusqu’au logis du gouvernail. L’emplanture du mât en réduisait la surface. Des lits superposés avaient été aménagés pour le transport des hommes d’armes, et des bancs étaient fixés aux vaigres de la carène. Les passagers y avaient pris place. Les sabords, ouverts en grand, permettaient une ventilation agréable.
    — Étends-toi, dit Barbeyrac. Retire tes hauts-de-chausses et tes braies.
    Kemper obéit. Ogier, Barbeyrac et Saveuse se penchèrent. Sous la toison brune et fournie de l’aine dextre, une élevure de chair se formait avec, au centre, une petite tumeur. Nul n’osa y toucher ; Barbeyrac commenta :
    — Cela ne me semble point effrayant. J’ai eu, à mes seize ans, une chose pareille. Un emplâtre de mie de pain et de lait : deux jours après, j’étais guéri.
    Il haussait la voix pour dominer le fracas des vagues contre la coque. De temps à autre, une lame se brisait, s’étalait ; un poudrin glacé pénétrait dans l’entrepont sans atteindre Kemper, immobile, les yeux clos, insensible à tout ce qui n’était pas son angoisse.
    — Veux-tu que nous te remontions ou veux-tu demeurer sur cette paillasse ? demanda Barbeyrac, soucieux.
    — Allongé, dit Kemper avec difficulté.
    — Veux-tu que nous t’attachions ?
    — Ainsi, je ne tomberai pas, dit Kemper. Non, non ! Laissez-moi seul.
    Les trois Français remontèrent.
    Le ciel roulait toujours ses nuages obscurs. Des mouettes lançaient leur défi aux bourrasques et certaines plongeaient pour s’abreuver de la dentelle des flots.
    Le maître d’équipage accourut :
    — Votre ami se plaint, messires.
    — Il n’est point notre ami, mais le vôtre : c’est un noncierre [19] de votre roi. C’est à vous de lui donner des soins.
    Ogier approuva Loïs de Saveuse. Barbeyrac dit : « Nous avons fait pour le mieux », puis ajouta, lorsqu’il eut consulté ses compagnons du regard :
    — Il se peut que messire Kemper soit atteint de la peste. Va prévenir, l’homme, ton capitaine. En attendant, nous allons exhausser l’âme de ce malade… car nous avons bon cœur comme tous les Français !
    Le maître d’équipage partit en courant. Ils le virent gravir deux à deux les degrés d’accès au château de poupe.
    — Allons voir notre homme, dit Ogier, mais n’y touchons point.
    Ils descendirent dans l’entrepont.
    Kemper gisait en bas de sa paillasse, dans l’eau glacée qu’une vague avait répandue sur les vaigres et le parquet. Barbeyrac interpella les passagers :
    — Holà ! messires. Ne pouviez-vous secourir cet homme et le remettre sur son lit ? Êtes-vous aveugles ? Insensibles ?
    — Il est votre ami, pas le nôtre, dit un des indifférents calfeutré dans un manteau de fourrure.
    C’était un barbu malingre, tout déhanché, – sans doute à cause de l’énorme escarcelle accrochée à sa ceinture. Il précéda de deux enjambées ses compères soudainement menaçants. Ogier fit front :
    — Cet homme, messires, est député par votre roi Édouard pour une mission à Calais. Vous ne pouviez le deviner. Il

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