L'épopée d'amour
aigu à entendre le gouverneur parler avec si peu de respect : cette vieille donzelle, c’était la reine elle-même. Elle devait avoir entendu. Et Maurevert haïssait maintenant Montluc.
Il prit les papiers, saisit un flambeau et entra dans le cabinet.
– J’ai tout entendu, dit la reine en jetant à peine un coup d’œil sur les papiers. Je connais la personne qui est venue.
– Ainsi, c’est bien le roi qui a signé ? balbutia Maurevert. Que faire alors ?
– Obéir. Je vais au Louvre et j’arrangerai la chose. Tenez-vous en paix ; ce qui est dit est dit ; vous aurez ces deux hommes. Dans huit jours, trouvez-vous à mon hôtel. D’ici là, voyagez ; ne demeurez pas à Paris. Vous avez commis une première maladresse en manquant l’amiral. Si vous en commettiez une deuxième en vous laissant arrêter – car on cherche le meurtrier – vous seriez, cette fois, perdu sans recours.
Maurevert frémissait. Il croyait comprendre que Pardaillan lui échappait ; et résolu à risquer sa vie pour assouvir sa vengeance, convaincu d’ailleurs que Catherine avait encore besoin de lui, il répondit :
– Madame, je crois que mon intérêt exige que je demeure à Paris. Dans huit jours, d’ailleurs, on aura autant d’intérêt que maintenant à trouver l’auteur de l’arquebusade du cloître.
– Je ne crois pas ! dit Catherine avec un sourire livide.
Et saisissant le bras de Maurevert :
– Je vous couvre, entendez-vous ? Votre grande faute n’est pas d’avoir tiré sur l’amiral, c’est de l’avoir manqué. Mais au surplus, les choses sont mieux ainsi ; votre maladresse est peut-être un coup d’adresse extraordinaire. C’est pourquoi, Maurevert, je vous pardonne d’avoir fait grâce à Coligny ; c’est pourquoi je vous destine à de plus hautes besognes. Obéissez, partez, revenez dans huit jours, et vous saurez alors ma pensée. Et quant à ces deux hommes, ne craignez rien : je vous en réponds.
– J’obéirai, madame, dit Maurevert qui s’inclina profondément.
Il sortit en disant :
– Je me loge aux abords du Temple et je n’en bouge pas de huit jours : je veux voir, moi !…
La reine s’éloigna à son tour, escortée par un simple sergent des gardes qui la reconduisit jusqu’à la petite porte, car tout le monde, même Montluc, ignorait au Temple qui était la dame voilée de noir.
– Comment et pourquoi la maîtresse du roi s’intéresse-t-elle à ces deux aventuriers ? se demandait Catherine. Comment et pourquoi a-t-elle obtenu cet ordre de sursis ?… Je le saurai dans quelques jours Les Pardaillan ne peuvent m’échapper. Pour aujourd’hui, écartons ce souci infime et songeons à la grande besogne !
Comment Marie Touchet avait obtenu le sursis ? C’est ce que nous devons expliquer rapidement.
Le valet du roi était entré à sept heures du matin dans l’appartement de Charles IX, et l’avait trouvé qui se déshabillait.
– Tu vois, avait dit Charles, j’ai passé la nuit à travailler…
– Aussi Votre Majesté est-elle à faire peur, dit familièrement le valet.
– Je vais réparer cela. Je veux dormir jusqu’à onze heures, tu entends ? Que personne n’entre ici ; tu diras à mes gentilshommes qu’il n’y aura pas de lever ce matin, et que je les attends à mon jeu de paume après-midi. Va, va… je veux être seul.
Le valet parti, le roi acheva de se déshabiller, mais pour revêtir aussitôt un costume de drap, d’apparence bourgeoise. Bientôt, par des couloirs et des escaliers dérobés, il gagna une cour déserte, atteignit une petite porte située non loin de l’angle qui avoisine Saint-Germain-l’Auxerrois, et l’ayant ouverte avec une clé qu’il était seul à posséder, se trouva sous une voûte. Cette sorte de poterne était fermée du côté intérieur par une lourde porte de fer. Le chemin en pente raide aboutissait au fossé. Une passerelle en planches était jetée sur l’eau courante. Après la passerelle, des marches taillées dans la glaise gazonnée permettaient au roi de remonter sur le bord extérieur du fossé. C’est par là qu’il passait quand il voulait qu’on le crût au Louvre alors qu’il se promenait dans sa bonne ville, comme un écolier heureux d’échapper pour quelques heures à la dure contrainte.
Dès qu’il se trouva dehors, le roi huma à pleins poumons l’air vif de la Seine. Sa poitrine étroite se dilata. Un peu de couleur anima ses joues, et ses yeux, un moment, se reposèrent
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