L'épopée d'amour
demanda la reine en désignant la porte de son cabinet.
– Monseigneur le duc d’Anjou, le jeune duc de Guise, le duc d’Aumale, M. de Birague, M. Gondi, le maréchal de Tavannes et le maréchal de Damville, M. le duc de Nevers et M. le duc de Montpensier.
– Où est Nancey ?
– Le capitaine est à son poste avec les cent gardes.
– Que fait le roi ?
– Sa Majesté est sortie ce matin de bonne heure ; je l’ai su par le petit Loriot qui surveille la poterne ; mais tout le monde croit au Louvre que le roi dort.
Catherine alla soulever une tenture et vit Nancey, son capitaine, l’épée nue à la main. Elle eut un geste de satisfaction et, venant s’asseoir près d’une petite table qui supportait un lourd missel, elle s’assura que son poignard était bien en place à portée de sa main, et elle dit :
– Fais prévenir M. le duc de Guise que je l’attends.
Deux minutes plus tard, le duc, somptueusement vêtu comme à son ordinaire, pénétrait dans l’oratoire et s’inclinait devant la reine avec cette grâce hautaine et comme narquoise qu’il affectait vis-à-vis de Catherine.
La reine s’arma de son plus charmant sourire et désigna un siège au duc qui, sans se faire prier davantage, s’assit, campa son poing sur la hanche et regarda fixement la souveraine, comme d’égal à égal.
Il y eut une minute de silence pendant laquelle Catherine chercha à faire baisser les yeux du duc.
Malgré toute sa puissance sur elle-même, elle ne put s’empêcher de frémir.
– Il se croit déjà roi ! songea-t-elle.
Quel était donc cet homme qui faisait trembler l’indomptable Catherine ? Quelle force énorme et mystérieuse représentait-il pour qu’il pût, sans pâlir, soutenir le choc de ce regard mortel qui avait courbé tant de têtes ?…
Henri Ier de Lorraine, duc de Guise, était alors âgé de vingt-deux ans.
Il était très beau.
C’était le vivant portrait de sa mère, Anne d’Este – fille d’Hercule II d’Este, duc de Ferrare – duchesse de Nemours. Il avait donc cette beauté mâle et régulière de la superbe Italienne qui avait peut-être dans les veines un peu du sang de Lucrèce Borgia. Cette filiation éclatait sur son visage en orgueil et en dédain. Il était trop jeune encore pour être retors ; mais déjà l’astuce pétillait parfois dans son regard et détruisait l’harmonie de force et de violence qui, pour le moment, paraissait être le fond de son caractère.
Il s’habillait magnifiquement, entretenait une maison plus fastueuse que celle du roi ; il portait au cou un triple collier de perles d’une inestimable valeur, et la garde de son épée était constellée de diamants ; les soieries les plus chatoyantes, les velours les plus fins composaient son costume. Il penchait un peu la tête en arrière et fermait à demi les yeux pour parler aux gens, comme s’il eût voulu laisser tomber sa parole de plus haut. Toutes ses attitudes respiraient la confiance, la force, l’orgueil. Pour tout dire, sa certitude de monter sur le trône de France était, à cette époque, absolue.
D’où lui venait cette certitude qui, seule, lui donnait cette superbe confiance, cette morgue fastueuse, cet orgueil intraitable ? D’où venait que ce jeune homme parlait, pensait, agissait en monarque devant qui tout doit trembler ? D’où venait qu’il se croyait chez lui au Louvre et qu’il considérait Catherine et Charles IX comme des intrus ?
Nous l’allons dire.
Mais notons en passant que ce magnifique cavalier qui éclipsait jusqu’au duc d’Anjou en élégance, que ce type achevé de la beauté, que cet homme enfin qui semblait personnifier l’orgueil, connut toute sa vie la singulière destinée d’être outrageusement trompé par sa femme : les amants se succédaient dans son lit, et toujours le duc de Guise montrait la morgue d’un être à demi divin que le ridicule ne saurait atteindre. Ridicule, il le fut pourtant – jusque dans ses prétentions à l’absolutisme.
Or, toutes les fois qu’il cessa d’être un grotesque infatué que tous les bellâtres de Paris et de province cocufient à qui mieux mieux, ce fut pour devenir odieux. Sa férocité dans les massacres n’avait-elle au fond la même cause que son orgueil à la cour, c’est-à-dire l’incapacité de penser, la nullité de l’âme, ce vide d’esprit grâce auquel il passa dans la vie comme une belle statue !
Voyons donc ce qu’il y avait derrière cette
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