L'épopée d'amour
J’eusse voulu faire revivre la vieille chevalerie du temps de Charlemagne. J’eusse voulu être un de ces hommes simples et dignes qui, la lance au poing, le cœur ferme et l’esprit libre, s’en allaient par le monde afin de terroriser les méchants et de réconforter les faibles. Car il y a plus de douleur que de méchanceté parmi les hommes. Le grand troupeau ne rêve que paix et bonheur. Il y a des loups, c’est vrai. Rois, princes, ils sont quelques-uns qui font peser sur le monde le terrible poids de leur ambition ; il eût suffi peut-être de susciter quelques bons chevaliers contre ces dévorants. J’eusse voulu être l’un de ceux-là, mon père.
C’est en devisant de ces choses que les deux Pardaillan – évitant avec soin de parler de Loïse, l’un pour ne pas éveiller une suprême douleur chez son fils, l’autre pour ne pas pleurer – c’est ainsi qu’ils atteignirent la nuit du vendredi, la dernière nuit.
Comme tous les soirs, ils s’endormirent paisiblement.
Comme tous les matins, le vieux Pardaillan se réveilla le premier, vers six heures. Un mince filet de jour se jouait sur le visage du chevalier ; il souriait, rêvant sans doute de Loïse.
Le routier le contempla avec une inexprimable expression de tendresse et de douleur. L’heure terrible était arrivée. Un léger mouvement qu’il fit, réveilla le jeune homme. Il ouvrit les yeux et vit son père penché sur lui.
Alors, chacun d’eux frémit jusqu’au plus profond de l’être, et chacun d’eux s’efforça de garder un visage serein.
Ils ne se dirent rien. Que se fussent-ils dit à ce moment suprême ? Le chevalier avait pris une main du vieux routier dans la sienne, et se regardant de leurs yeux intrépides, se souriant parfois comme pour répondre à de lointaines pensées, ils attendirent ainsi.
Enfin, après des heures qui leur parurent des minutes, ils entendirent dans le couloir un bruit de pas nombreux.
A l’instant, ils furent sur pied tous les deux.
Ils s’étreignirent silencieusement, d’une longue étreinte d’adieu.
Toute parole eût été impossible à ce moment. Chacun d’eux n’avait plus qu’une idée : ne pas faire souffrir l’autre par le spectacle de sa propre douleur, ne pas aggraver son agonie…
Au premier mot, ils eussent éclaté en sanglots…
La porte s’ouvrit. Montluc parut. Il avait une escorte de vingt arquebusiers.
Les deux prisonniers se tenaient par la main, d’une si étroite étreinte qu’il eût été difficile de les séparer.
Montluc fit un signe : les gardes entourèrent les deux Pardaillan, qui eurent un dernier éclair de joie sombre en voyant que jusqu’au bout, ils seraient ensemble.
On se mit en marche. Le chevalier constata qu’au bout du couloir, il y avait d’autres gardes qui attendaient ; toute la garnison du Temple – soixante soldats – était sur pied.
On descendit un escalier de pierre. On s’enfonça dans les entrailles de la vieille prison.
Enfin, on pénétra dans une vaste pièce dallée.
C’était la chambre de torture.
Le bourreau-juré était là. Près de lui se trouvait un homme qu’à la lueur des torches le chevalier reconnut aussitôt : c’était Maurevert. Le chevalier tourna la tête vers son père et sourit. Maurevert était livide et tremblant de haine impatiente.
Trente arquebusiers se rangèrent autour de la salle aux voûtes surbaissées. De six en six hommes, il y avait une torche. Les Pardaillan virent tout cela d’un coup d’œil. Ils virent le chevalet de torture, avec ses ais, ses cordes, les cordes de bois et le maillet posés sur une dalle ; ils virent un brasier où chauffaient des fers, des tenailles. Ils virent le bourreau qui donnait des instructions à deux hommes : ses aides ; ils virent Montluc qui causait avec Maurevert… ce fut, dans une seconde, une atroce vision de cauchemar.
– Par lequel commençons-nous ? demanda Montluc.
– Monsieur… fit le chevalier en avançant d’un pas.
Aussitôt dix mains rudes s’abattirent sur lui comme si on eût craint quelque tentative désespérée.
– Que voulez-vous ? grommela Montluc.
– Une grâce, dit le chevalier en affermissant sa voix d’un effort terrible.
– Parlez…
– Faites que je sois questionné le premier.
– Morbleu ! cria le vieux Pardaillan, ce que tu demandes là est injuste. Honneur à la vieillesse, que diable !
– Moi, ça m’est égal, dit Montluc qui interrogea Maurevert du regard.
Maurevert chercha
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