L'épopée d'amour
même temps que moi… Oui, mais si je suis tué !… Hum ! Je voudrais bien voir mon fils avant. Et puis, au fait, à quoi bon ?
Pardaillan continua sa rêverie jusqu’au moment où il entendit sonner dix heures.
Alors, il descendit sans bruit, se fit reconnaître du Suisse et sortit de l’hôtel en prévenant le digne gardien qu’il rentrerait peut-être fort tard dans la nuit, parce qu’il était attendu de sa maîtresse qu’il n’avait pas vue depuis longtemps, et qu’en conséquence ladite maîtresse le retiendrait sans doute jusqu’à une heure avancée ; que s’il ne rentrait pas du tout, ni la nuit, ni le lendemain, c’est que, sans aucun doute, il aurait entrepris un voyage.
Le Suisse demeura tout mélancolique des suites de cette confidence.
– Je n’aurais jamais cru qu’un homme pareil eût une maîtresse ! songea-t-il. Fiez-vous aux apparences !
Cependant, Pardaillan s’était éloigné. Il descendit sans hâte jusqu’à la Seine et, comme le passeur était couché, s’en alla traverser le fleuve au Grand Pont, qui porte aujourd’hui le nom de Pont au Change parce que des boutiques de changeurs étaient établies sur ce pont.
Pardaillan, tout flânant et sans se hâter, se dirigea vers le Temple, et il était à peu près onze heures lorsqu’il atteignit l’hôtel de Mesmes.
Sur sa façade, l’hôtel paraissait endormi.
Aucune lumière ne filtrait à travers les vitraux de ses fenêtres.
Pardaillan fit le tour de l’hôtel. Sur les derrières, on l’a vu, se trouvait un jardin clôturé d’un mur, ce qui était un signe de noblesse ou de richesse ; car les nombreux jardins qui étaient alors dans Paris n’étaient clôturés que de haies vives.
Le vieux routier escalada le mur avec cette agilité qui était telle encore qu’elle excitait l’admiration de son fils.
Parvenu à la porte de l’office qui donnait sur le jardin, il commença à manœuvrer pour forcer les verrous au moyen de sa dague. Ce travail qu’il accomplit sans bruit lui demanda une heure, en sorte qu’il était minuit lorsque Pardaillan, à sa grande satisfaction, vit la porte s’ouvrir.
L’instant d’après, il était dans l’intérieur de l’hôtel. Pendant le séjour qu’il y avait fait, Pardaillan avait assez étudié la localité, selon son expression, pour être sûr de s’y conduire les yeux fermés. Il traversa donc le vestibule de l’office, enfila le couloir où se trouvait la fameuse entrée des caves et sourit en se rappelant la grande bataille qu’il avait soutenue là.
Parvenu à la partie antérieure de l’hôtel, il commença à monter un large escalier et arriva au premier étage ; puis, ayant longé un corridor, il s’arrêta devant une porte : c’est là que commençait l’appartement particulier du duc de Damville.
« Y est-il ?… N’y est-il pas ?… S’il y est, est-il seul ?… »
Le vieux routier se posa ces questions. Ce n’est pas qu’il fût ému. Pas un pli de son visage ne frémissait. Mais enfin, il ne se dissimulait pas que sa vie tenait sans doute à un fil.
– Bon ! finit-il par murmurer, je vais bien voir.
Et il allongea la main pour voir si la porte était fermée.
Au même instant, cette porte s’ouvrit d’elle-même, et le maréchal de Damville parut, un flambeau dans une main.
– Tiens ! fit le maréchal d’une voix tranquille, c’est ce cher monsieur de Pardaillan ! Vous me cherchez, je crois ? Donnez-vous donc la peine d’entrer… moi aussi, je voulais justement vous voir et vous parler…
Pardaillan demeura une seconde atterré. Si difficile à émouvoir que soit un homme, il n’est pas sans éprouver quelque violente secousse lorsqu’il est soudain surpris par un ennemi mortel au moment même où il croyait surprendre cet ennemi.
Cependant, par un énergique effort de volonté, le vieux routier se remit promptement, jeta un rapide regard dans l’intérieur de la pièce pour s’assurer que le maréchal était seul et, saluant de bonne grâce, il répondit :
– Ma foi, monseigneur, j’accepte votre invitation, car j’ai des choses urgentes à vous dire.
– Si j’avais su que vous me cherchiez, reprit Damville, je vous eusse évité la peine de crocheter mes portes. Je regrette que vous vous soyez donné tant de mal.
– Vous êtes mille fois trop bon, monseigneur : je vous assure que c’est sans aucune peine que j’ai défoncé vos serrures.
– Ah ! oui… l’habitude.
– Eh !
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