L'épopée d'amour
de ces époques pouvait le concevoir. Mais ce costume si riche était entièrement noir depuis la plume de la toque jusqu’au haut-de-chausses en satin.
– C’est demain le grand jour, dit Marillac en souriant. C’est demain que notre roi Henri épouse Madame Marguerite. Avez-vous vu les préparatifs que l’on a faits à Notre-Dame ?
Le chevalier secoua la tête.
– Ce sera magique. L’église tout entière est tendue de velours à crépines d’or [16] . Les sièges des époux sont des merveilles… plus de cent ménétriers sont commandés pour jouer des airs devant le grand portail lorsque le cortège arrivera…
– Ce sera splendide, fit le chevalier. Je comprends votre joie.
Marillac saisit sa main et la pressa. Une joie immense gonflait son cœur.
– Cher ami, murmura-t-il, ma joie ne vient pas de là… Ecoutez… j’avais juré de ne le dire à personne au monde… mais vous, mon ami, vous êtes mon autre moi-même… Demain, il y aura un mariage à Notre-Dame… et demain soir, il y en aura un autre à Saint-Germain-l’Auxerrois… et je veux que vous soyez là !…
– Quel mariage ? demanda le chevalier.
– Le mien !…
– Le vôtre ! fit Pardaillan qui ne put s’empêcher de frémir. Et pourquoi le soir ?
– La nuit, plutôt à minuit !… Vous allez comprendre… la reine veut être là pour me bénir… elle se charge de tous les détails de la cérémonie… des amis à elle, des amis sûrs, y assisteront seuls… et vous, mon cher, mon frère ! vous que je ferai entrer avant l’heure dans le temple… mais n’en dites rien. La reine veut être là, comprenez-vous ? Et si on savait !… Ah ! Pardaillan, on voudrait savoir pourquoi la mère de Charles IX s’intéresse tant à un pauvre gentilhomme huguenot… Et qui pourrait faire taire les mauvaises langues ? Qui pourrait expliquer qu’au moment où je me marie, c’est un immense bonheur pour moi que d’avoir à mes côtés… celle qui est… ma mère !
Le chevalier eut un frisson que le comte ne remarqua pas : cette cérémonie mystérieuse, ce mariage de minuit qui devait être tenu secret et auquel Catherine devait assister… Il eut la pensée d’un guet-apens, la vision de quelque sanglante tragédie au fond de la morne église…
« Heureusement que je serai là ! songea-t-il. »
Et comme si le pressentiment d’un malheur l’eût poursuivi du doigt, il désigna le costume étalé sur un fauteuil.
– Est-ce dans ce costume, demanda-t-il, que vous allez vous marier ?
– Oui, frère, dit Marillac soudain redevenu grave. C’est dans ce costume que je veux assister au mariage de notre roi, et c’est dans ce même costume que, le soir, à minuit, je me rendrai à Saint-Germain-l’Auxerrois…
– Eh quoi ! Tout de noir vêtu ?
– Ecoutez-moi, chevalier, dit Marillac dont le visage se voila de mélancolie. Je suis dans un bonheur tel que je me demande parfois si je rêve. Vous savez combien j’ai souffert d’être obligé de maudire ma mère… eh bien ! cette mère se révèle à moi comme la femme la plus aimante, le cœur le plus tendre. Vous savez combien j’aime ma fiancée… eh bien ! demain, Alice devient ma femme… comprenez-vous que ces deux bonheurs inouïs accablent mon âme !…
– Ainsi, dit le chevalier, pas une ombre à votre bonheur ? Pas d’inquiétude ? Pas de crainte ?…
– Quelle inquiétude, quelle crainte pourrais-je avoir ? Non, mon ami… tout en moi est apaisement et confiance… Et pourtant, oui, tout ce bonheur est comme voilé d’un crêpe.
– Il faut quelquefois écouter les pressentiments, dit vivement le chevalier.
Marillac secoua la tête.
– Il ne s’agit pas d’un pressentiment. Encore une fois, je ne crains rien, je n’ai rien à redouter. Mais je m’habille de noir, mon ami, parce que je veux, aux yeux de tous, et même au prix d’une inconvenance, porter le deuil de l’admirable femme qui a été ma vraie mère…
– Jeanne d’Albret !…
– Oui, chevalier : la reine de Navarre. La cour semble l’avoir déjà oubliée. Son fils lui-même, cet Henri qu’elle aimait tant, a bien vite repris ce visage insoucieux et sardonique… il a bien vite recommencé à papillonner autour des femmes, tandis que celle qui sera la sienne s’occupe, dit-on, d’amours où le roi de Navarre ne joue aucun rôle, sinon celui de l’amant morfondu. Ah ! mon ami, toute cette ingratitude pour une femme si vaillante et si bonne, si
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