L'épopée des Gaulois
ouvrage, il a utilisé les légendes qui circulaient dans le Latium à propos de la fondation de Rome par un Romulus entièrement mythique et sur le règne symbolique de Numa Pompilius, lui aussi complètement mythique, celui qui passait pour être l’interlocuteur de la fameuse déesse Égéria , laquelle lui inspira les premières lois de la Ville aux sept collines. Pourquoi n’aurait-il pas utilisé également les légendes orales qui circulaient encore dans cette plaine du Pô, riche en souvenirs celtiques, surtout parmi les membres de sa famille, laquelle était romanisée depuis peu de temps ? Il n’y a rien qui puisse infirmer cette supposition, d’autant plus que Tite-Live, s’il est un écrivain remarquable et s’il nous a transmis des renseignements de premier ordre, ne peut guère être considéré comme un historien au sens moderne du mot. Et comme bien d’autres auteurs grecs ou latins, il n’est en fait qu’un « collecteur d’histoires ».
Mais telles qu’elles se présentent, ces « histoires » conservent une grande partie de la mémoire des Gaulois. Tite-Live est né en 59 avant J.-C. et il est mort en l’an 19 de notre ère. Il a vécu à une époque où la Gaule cisalpine était romanisée depuis longtemps mais où les souvenirs de la conquête de la Gaule transalpine par César étaient pour ainsi dire contemporains de l’indépendance. S’il ne vérifiait jamais l’authenticité des informations qu’il collectait, il avait le mérite de les écrire et de les transmettre à la postérité. Et même si sa monumentale Histoire romaine ne nous est pas parvenue dans sa totalité, il en reste suffisamment pour qu’on puisse y puiser largement, d’autant plus que, sur certains événements, Tite-Live se montre fort bavard et n’est jamais à court de détails parfois fort pittoresques qui sont très éclairants sur la mentalité gauloise.
Il a donc recueilli des traditions de la Cisalpine. Mais son esprit curieux lui faisait également profiter des informations et des recherches de ses prédécesseurs. Il ne s’est pas privé d’utiliser toutes les sources qui étaient disponibles en son temps et dont beaucoup ont maintenant disparu. Ses récits en sont d’autant plus précieux. De plus, en tant qu’écrivain doué d’un style et d’un souffle puissants, Tite-Live possède à un très haut degré ce qu’on appelle le sens épique : il sait parfaitement transcrire l’atmosphère des épopées antiques et les rendre accessibles à un public cultivé qui ne croyait sans doute plus aux légendes mais qui y trouvait une abondante matière à rêver.
Ce n’est cependant pas Cornélius Népos, contrairement à ce que dit Camille Jullian, qui a été son informateur. Cornélius Népos est en effet né un an avant notre ère, en 99, à Ticinum, c’est-à-dire Pavie, en pleine région peuplée de Gaulois insubres, et il a vécu très vieux. Mais il n’avait que 20 ans à la mort de Tite-Live. Il n’empêche que Cornélius Népos, auteur de nombreux ouvrages d’histoire et d’érudition, en particulier d’un De Viris illustribus maintes fois condensé et adapté à usage scolaire, est également un de ceux qui nous renseignent le mieux sur certains épisodes des conflits entre Gaulois et Romains, épisodes sur lesquels il ne s’étend pas, mais qui témoignent de son intérêt pour les traditions de son peuple d’origine. C’est notamment le cas pour l’un des fragments complets qui nous restent de lui, le De excellentibus ducibus exterarum gentium , « Sur les meilleurs chefs des nations étrangères », ce qui nous permet de corroborer ou de corriger ce que disent certains autres historiens sur les voisins ou les ennemis des Romains.
D’une façon générale, les historiens, ou plutôt les « collecteurs d’histoires », grecs et latins pillent allégrement les écrits de leurs devanciers. Et c’est tant mieux car, sans ce « piratage », nous n’aurions aucune connaissance de ce qu’ont évoqué des témoins antérieurs en des ouvrages dont les manuscrits ont malheureusement disparu ou ne nous sont parvenus qu’à l’état fragmentaire. Et si très souvent, ces compilateurs rendent hommage à leurs informateurs – parfois, ils les critiquent, même, assez sévèrement en puisant dans des sources différentes – en les citant, ce qui contribue à renforcer leur crédibilité. C’est donc toute une suite d’observations et d’informations que
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