L'épopée des Gaulois
celtique : il dérive en effet de la racine indo-européenne galu qui exprime à la fois la puissance et le fait d’appartenir à une nation étrangère. Les Gaulois seraient donc des « puissants » et des « étrangers ». Les deux significations sont loin d’être contradictoires, et l’on peut supposer que les premières tribus celtes à occuper la Gaule étaient à la fois des « envahisseurs » et des « puissants », une élite intellectuelle et guerrière peu nombreuse qui, par ses techniques et sa valeur, a réussi à soumettre – et à celtiser – les populations autochtones (installées là dès l’Âge du Bronze et surtout dès le Néolithique) qui avaient pris possession du terrain auparavant.
Cela provoque d’ailleurs des ambiguïtés qu’il n’est pas si facile d’éliminer. Selon la pédagogie de la Troisième République, la France est donc un pays celte (les Gaulois) dont les habitants portent un nom germanique hérité des conquérants francs (les Français) mais parlent une langue incontestablement d’origine latine (le français). Cette constatation amène d’ailleurs à affirmer qu’il n’y a pas de nation française mais un conglomérat de peuples d’origines diverses réunis pendant l’Ancien Régime sous une même couronne et qui constituent un « État » au sens actuel du mot. Et comme toute notion d’État suppose un ciment entre les divers éléments constitutifs, on s’est empressé d’en trouver – sinon d’en inventer – un qui pût être exemplaire. Les Gaulois ont alors surgi du néant où l’idéologie officielle les avait replongés depuis des siècles, cela afin de servir d’emblèmes à la République française une et indivisible. Alors, qui sont donc les Français, sinon un mélange d’individus héritiers de traditions fort diverses et parfois contradictoires ?
Il y a une règle absolue dans l’histoire des civilisations : tout peuple parvenu à un haut degré d’évolution s’est référé à des mythes fondateurs, puisés aussi bien dans l’imaginaire que dans l’Histoire proprement dite, les deux n’étant d’ailleurs pas faciles à discerner. La Mésopotamie avait ses épopées mythologiques, comme celle de Gilgamesh . Le peuple hébreu avait la Bible . Les Grecs avaient la Théogonie d’Hésiode ainsi que l’ Iliade et l’ Odyssée . Les Latins, un peu tardivement, ont eu, grâce à Virgile, une Énéide qui les faisait descendants des Troyens. Les Germano-Scandinaves avaient leurs Eddas , les Irlandais leurs épopées mythologiques. Mais où sont donc les épopées gauloises ?
La réponse paraît nette et précise : il n’y en a pas. Ou, tout au moins, on n’en a pas retrouvé. Mais cela ne peut étonner personne puisque le témoignage de Jules César, dans son De Bello Gallico , est formel sur ce point : les druides interdisent l’usage de l’écriture, premièrement parce qu’ils ne veulent pas que leur savoir tombe sous les yeux de n’importe qui, deuxièmement parce que se fier à l’écriture, ce serait scléroser la mémoire. Or, chez un peuple de tradition orale – et tel est le cas chez tous les Celtes –, la mise par écrit d’une tradition provoque la mort de cette tradition. En effet, ce qui est écrit est écrit une fois pour toutes et ne peut donc être remis en cause. La connaissance est donc prise à la lettre, et de toute façon, elle est figée à une certaine époque et ne peut donc être modifiée. En revanche, dans une civilisation de type oral, tout peut être remis en question au gré des circonstances et surtout en réponse aux interrogations des générations successives. On en arrive donc à supprimer ce qui n’offre plus aucun intérêt et on ajoute au fur et à mesure tout ce qui paraît indispensable dans une situation donnée. La tradition orale est vivante , la tradition écrite est morte . Si l’on comprend bien ce que dit César, les druides en avaient parfaitement conscience, d’où cet interdit majeur, qu’on peut certes déplorer puisque cela prive l’humanité d’une partie de sa mémoire, mais qu’on ne peut qu’approuver si l’on considère qu’une société, pour évoluer, doit constamment se renouveler, au besoin en brûlant ce qu’elle avait adoré auparavant et en l’oubliant définitivement.
Mais il ne faut pas s’arrêter à ce constat décevant pour les tenants de la chose écrite. Jules César est le premier à avoir non pas expliqué cet interdit,
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