Les amours du Chico
conquérir, c’était la couronne que cet homme
était à même de lui donner. Quand même elle était trop femme, trop
éprise de beauté pour ne pas éprouver une réelle satisfaction en
constatant que cette couronne se poserait sur une tête noble et
fière, assez mâle, assez forte pour ne pas fléchir sous le
poids.
Cette impression favorable lui était aussi d’une réelle utilité
en ce sens qu’elle allait lui faciliter, dans une certaine mesure,
l’œuvre de séduction qui allait commencer.
Œuvre redoutable. Œuvre capitale.
Tout le plan de Fausta dépendait de la décision qu’allait
prendre le Torero. Cette décision elle-même dépendait de l’effet
qu’elle produirait sur lui.
Qu’il se dérobât, qu’il refusât de renoncer à son amour pour la
Giralda, et ses plans se trouvaient singulièrement compromis.
L’œuvre n’était pas irréalisable pourtant, du moins elle
l’espérait. Et quant à sa difficulté même, pour une nature
essentiellement combative, comme la sienne, c’était un
stimulant.
Quant à la Giralda, qui pouvait être sa pierre d’achoppement, on
a déjà vu qu’elle avait pris une décision à son égard. C’était très
simple, la Giralda disparaîtrait. Si puissant que fût l’amour du
Torero, il ne tiendrait pas devant l’irréparable, c’est-à-dire la
mort de la femme aimée. Il était jeune, ce Torero, il se
consolerait vite. Et d’ailleurs, pour activer sa guérison, elle
avait une couronne à lui donner, elle lui montrerait un royaume à
prendre, un empire à conquérir. Quel esprit serait assez froid,
assez puissant pour résister à pareil éblouissement ? Quel
amour, quels regrets seraient assez forts pour se dérober à un
aussi prestigieux dérivatif ?
Elle ne connaissait qu’un seul être au monde capable de rester
froid devant d’aussi puissantes tentations : Pardaillan.
Mais Pardaillan n’avait pas son pareil.
Oui, l’œuvre de séduction serait difficile, mais non pas
impossible.
Elle mit donc en œuvre toutes les ressources de son esprit
subtil, elle fit appel à toute sa puissance de séduction, et de
cette voix harmonieuse, enveloppante comme une caresse, elle
demanda :
– C’est bien vous, monsieur, qu’on appelle don
César ?
Et elle insista sur ces deux mots : qu’on appelle.
Le Torero s’inclina en signe d’assentiment.
– Vous aussi qu’on appelle El Torero ?
– Moi-même, madame.
– Vous ne connaissez pas votre véritable nom. Vous ignorez
tout de votre naissance et de votre famille. Vous supposez être
venu au monde, voici environ vingt-deux ans, à Madrid. C’est bien
cela ?
– Tout à fait, madame.
– Excusez-moi, monsieur, si j’ai insisté sur ces menus
détails. Je tenais à éviter une erreur de personne, qui pourrait
avoir des conséquences très graves.
– Vous êtes tout excusée, madame. Au surplus, si vous le
désirez, je n’ai qu’à me montrer à ce balcon. Je serais bien
surpris si, parmi cette foule, il ne se trouvait pas quelques voix
pour me donner ce nom d’El Torero, qui est devenu le mien.
Il dit cela gravement, sans arrière-pensée, désireux de la
convaincre, pas plus.
Gravement aussi, et d’un geste très doux, elle refusa en même
temps qu’elle disait :
– Veuillez vous asseoir.
De la main elle désignait un siège placé près de son fauteuil,
presque vis-à-vis, et un gracieux sourire ponctuait le geste.
Le Torero obéit et elle admira la parfaite aisance de ses
gestes, la souplesse de ses attitudes et, à part soi, elle
murmura : « Oui, c’est bien du sang royal qui coule dans
ses veines !… De cet aventurier, élevé à la diable, je ferai
un monarque superbe et magnifique. »
À ce moment, des clameurs furieuses éclataient sur la place. Le
cortège des condamnés approchait du lieu du supplice et la foule
manifestait ses sentiments par des hurlements féroces :
– À mort !… Mort aux hérétiques !…
Suivis de ces autres cris :
– Le roi !… Le roi !… Vive le roi !…
Seulement, les acclamations étaient moins nourries, moins
imposantes que les cris de mort. Il faut croire que la férocité
était le sentiment dominant. Il est à remarquer, du reste, que
lorsqu’une foule en liesse est réunie quelque part, elle ne trouve
rien autre à crier que : « Vivat ! » ou
« À mort ! ».
Au-dessus des clameurs et des vivats, les couvrant parfois
complètement, le
Miserere,
entonné à pleine voix par
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