Les amours du Chico
vous ne puissiez l’approcher. Quand j’ai cru
le danger passé, je vous ai facilité de mon mieux les voies et je
vous ai fait conduire jusqu’à elle. Tout cela, monsieur, je l’ai
fait par humanité, comme vous l’auriez fait, comme aurait fait
toute personne de cœur. Je ne pensais pas vous connaître jamais.
Et, à vrai dire, je n’y tenais pas, sans quoi je vous eusse attendu
chez moi, cette nuit. Certaines actions perdent tout mérite si l’on
paraît rechercher un remerciement ou une louange. J’ignorais alors
bien des choses, vous concernant, que j’ai apprises depuis, et qui
m’ont fait désirer vivement vous connaître. Aujourd’hui que je vous
ai vu, je me félicite du peu que j’ai fait pour vous et je vous
prie de me considérer comme une amie dévouée, prête à tout
entreprendre pour vous sauver, et vous pouvez voir à mon air,
monsieur, que je ne suis pas femme à promettre en vain et que le
concours que je vous offre n’est pas à dédaigner.
Toute la fin de cette tirade avait été débitée avec une émotion
communicative qui fit une impression profonde sur le Torero.
Profondément ému à son tour, il s’inclina gravement et, avec un
accent de gratitude très sincère :
– Vraiment, madame, vous me comblez, et je ne sais comment
vous remercier.
Et avec un sourire plein d’insouciance :
– Mais, franchement, ne vous inquiétez-vous pas un peu à la
légère ? Suis-je donc si menacé ?
Très gravement, avec un accent qui fit passer un frisson sur la
nuque du Torero, elle dit :
– Plus que vous ne l’imaginez. Je ne dirai pas que vos
jours sont comptés ; je vous dis : vous n’avez que
quelques heures à vivre… si vous vous complaisez dans cette
insouciante confiance.
Si brave qu’il fût, le Torero pâlit légèrement.
– Est-ce à ce point ? fit-il.
Toujours très grave, elle fit signe que oui de la tête et
reprit :
– Je n’ai qu’un regret : celui de vous avoir rapproché
de cette jeune fille. Si j’avais su ce que je sais maintenant,
jamais, par mon fait du moins, vous ne l’eussiez retrouvée.
Un vague soupçon germa dans l’esprit du Torero. À son tour, il
devint froid, tout son calme soudain reconquis.
– Pourquoi, madame ? fit-il avec une imperceptible
pointe d’ironie.
– Parce que, dit Fausta, toujours grave et avec un accent
de conviction impressionnant, parce que cette jeune fille causera
votre mort.
Le Torero la fixa un instant. Elle soutint son regard avec un
calme imperturbable. Dans ce regard clair et lumineux il ne lut que
loyauté éclatante, sincérité absolue et, à ce qu’il lui sembla,
sympathie manifeste.
Le commencement de soupçon imprécis qui l’avait effleuré se
fondit instantanément sous le feu de ce regard. De nouveau il fut
repris par ce trouble étrange qui l’avait agité et qu’il croyait
avoir maîtrisé.
– Mais enfin, madame, fit-il en passant à un autre ordre
d’idées, qui est donc cet ennemi mortellement acharné après
moi ? Le savez-vous ?
– Je le sais.
– Son nom ?
– Son nom, je vous le dirai plus tard. Cependant il est
nécessaire que vous sachiez qui vous poursuit de sa haine, ne
fût-ce que pour défendre vos jours menacés. Je vous dirai donc que
cet ennemi, c’est…
Elle s’arrêta, comme si elle eût hésité à porter un coup qu’elle
pressentait très rude. Et son accent était si majestueux, si
triste, si apitoyée sa physionomie, qu’étreint par une angoisse
indéfinissable, il murmura machinalement, en passant sa main sur
son front moite :
– C’est ?…
– Votre père ! lâcha brusquement Fausta.
Et sous ses dehors apitoyés elle l’étudiait avec la froide et
curieuse attention du praticien se livrant à quelque
expérience.
L’effet du reste fut foudroyant, dépassant au-delà tout ce
qu’elle avait imaginé.
Le Torero se dressa d’un bond et, livide, hagard, échevelé, il
gronda d’une voix qui n’avait plus rien d’humain :
– Vous avez dit ?…
Très ferme, elle répéta sur un ton énergique :
– Votre père !…
Le Torero la fixait avec des yeux qui n’avaient plus rien de
vivant, des yeux qui semblaient implorer grâce. Et de cette même
voix rauque, où l’on sentait gronder des sanglots
refoulés :
– Mon père !… On m’avait dit pourtant…
– Quoi donc ?
Et de ses yeux, en apparence très doux, elle le fouillait avec
une curiosité aiguë. Savait-il ? Ne savait-il pas ?
Non ! il ne
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