Les amours du Chico
Derrière les cavaliers venait une
deuxième compagnie de gens d’armes, à pied. Cavaliers et fantassins
étaient chargés de refouler le populaire et de frayer un passage à
la procession.
Derrière les soldats venait une longue théorie de pénitents
noirs, la cagoule rabattue, un cierge à la main. En tête des
pénitents, un colosse, la tête couverte de la cagoule comme tous
les autres, portait péniblement une immense croix de métal, sur
laquelle un Christ doré, de grandeur presque naturelle, étendait
ses bras encloués. C’était le Christ au nom duquel les sept
condamnés allaient être suppliciés… Le Christ qui avait prêché le
pardon, l’oubli des injures, l’amour du prochain…
Tous ces pénitents tonitruaient lamentablement le
De
Profundis.
Après cette interminable théorie de pénitents venaient les
gardes de l’Inquisition : gardes à cheval, gardes à pied, et
immédiatement après le tribunal de l’Inquisition, grand inquisiteur
en tête.
Derrière le tribunal, sous un dais rutilant, un évêque, en
habits sacerdotaux, portant à bras tendus le saint sacrement, et
derrière, les sept condamnés, en chemise, pieds nus, la tête
découverte, à seule fin que chacun pût les contempler et les
insulter à loisir, un cierge énorme à la main.
Derrière les condamnés, d’autres juges. Puis des religieux,
encore des religieux, toujours des religieux, des noirs, des
rouges, des verts, des jaunes, tous le visage caché sous la
cagoule. Et des prêtres, des évêques, des cardinaux, en habits
pompeux, et tous, tous chantant, criant, hurlant les notes funèbres
du
De Profundis.
Derrière la foule des prêtres et des moines, une triple rangée
d’arquebusiers, à pied, et seul, la tête découverte, sombre,
traînant la jambe, sinistre dans son somptueux costume noir, le
roi, Philippe II.
À sa droite, un pas en arrière, son fils : l’infant
Philippe, héritier du trône. Et puis la foule des courtisans,
seigneurs, grandes dames, dignitaires, tous en habits de cérémonie,
et puis des moines, des moines et des pénitents.
Voilà ce que vit le Torero.
Le cortège s’arrêta devant l’autel de la place.
Un juge lut à haute voix la sentence de mort aux condamnés.
Un prêtre en habits sacerdotaux s’approcha de chaque condamné et
lui donna un coup sur la poitrine, ce qui voulait dire qu’il était
expulsé de la communauté des vivants.
Ceci au milieu des cris, des menaces, des injures de la foule en
délire.
Alors l’évêque monta à l’autel. En même temps les condamnés
étaient hissés sur le bûcher, attachés au poteau. Et la messe
commença.
Lorsque l’évêque prononça les dernières paroles de l’évangile,
la fumée commença de s’élever en tourbillonnant, et en même temps
que la fumée, les hurlements éclatèrent :
– Mort aux hérétiques ! Mort aux hérétiques !
Alors, du haut du bûcher, une voix protesta.
C’était un jeune homme de vingt-cinq ans environ, beau, noble,
riche, ayant occupé une charge importante à la cour. Le Torero, qui
le connaissait de vue, le reconnut aussitôt.
Et le condamné clamait :
– Je ne suis pas un hérétique ! Je crois en
Dieu ! Que mon sang retombe sur ceux qui m’ont condamné !
J’en appelle à…
On ne put en entendre davantage. Des milliers de moines
hurlèrent furieusement le
Miserere
et couvrirent sa
voix.
En même temps les flammes commencèrent à s’élever, vinrent
doucement lécher les pieds nus des condamnés comme pour goûter à la
proie qui leur était offerte. Et l’ayant trouvée à leur goût elles
s’élevèrent davantage encore, enlacèrent les victimes, les
étreignirent, les happèrent.
– Horrible ! horrible ! murmura le Torero en
portant sa main devant ses yeux. Quel crime a donc commis ce
malheureux que j’ai connu bon vivant et plein d’avenir ?
Il parlait pour lui-même. Il sursauta en entendant une voix qui
murmurait à son oreille (la voix de Fausta qu’il avait
oubliée) :
– Il a commis le crime que tu rêves de commettre !… le
crime pour lequel tu seras condamné comme lui, exécuté comme lui…
si je n’arrive pas à te persuader.
– Quel crime ? répéta machinalement le Torero.
– Il a entretenu des relations avec une hérétique qu’il a
épousée.
– Oh ! je comprends !… la Giralda ! la
bohémienne !… Mais la Giralda est catholique !
– Elle est bohémienne, dit rudement Fausta, elle est
hérétique… ou du
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