Les amours du Chico
du
Torero. La seule divergence de vues qui existât entre eux,
concernant Pardaillan, était dans la manière dont ils entendaient
mettre à exécution leur projet. Le roi eût voulu qu’on arrêtât
purement et simplement l’homme qui lui avait manqué de respect.
Pour cela que fallait-il : un officier et quelques hommes.
Pris, l’homme était jugé, condamné, exécuté. Tout était dit.
D’Espinosa voyait autrement les choses. D’abord l’arrestation
d’un tel homme ne lui apparaissait pas aussi simple, aussi facile
que le roi le pensait. Ensuite, influencé, sans qu’il s’en rendît
compte, par les appréhensions de Fausta qui, dans sa crise de
terreur mystique, voulait voir en Pardaillan un être surhumain,
qu’on ne pouvait atteindre comme le commun des mortels, il n’était
pas sans inquiétudes sur ce qui pouvait advenir après cette
arrestation. Enfin d’Espinosa était prêtre et ministre. Comme tel,
oser manquer à la majesté royale était, à ses yeux, un crime que
les supplices les plus épouvantables étaient impuissants à faire
expier comme il le méritait. D’autre part, des idées particulières
qu’il avait sur la mort lui faisaient considérer celle-ci comme une
délivrance et non comme un châtiment. Restait donc la torture. Mais
qu’était-ce que quelques minutes de tortures comparées à l’énormité
du forfait ? Bien peu de chose en vérité. Avec un homme d’une
force physique extraordinaire, jointe à une force d’âme peu
commune, on pouvait même dire que ce n’était rien. Il fallait
trouver quelque chose d’inédit, quelque chose de terrible. Il
fallait une agonie qui se prolongeât des jours et des jours en des
transes, en des affres insupportables.
C’est là que Fausta était intervenue et lui avait soufflé l’idée
qu’il avait aussitôt adoptée, et pour l’exécution de laquelle ils
se trouvaient tous rassemblés sur la place, en vue de laquelle une
place d’honneur avait été réservée à l’homme qu’il s’agissait de
frapper. Car d’Espinosa avait réussi à faire accepter son point de
vue au roi, qui avait poussé la dissimulation jusqu’à adresser un
gracieux sourire à celui qui l’avait bravé et bafoué devant toute
sa cour.
Ce que devait être le châtiment imaginé par Fausta, c’est ce que
nous verrons plus tard.
Pour le moment, toutes les mesures étaient prises pour assurer
l’arrestation imminente de Pardaillan et du Torero. Peut-être
d’Espinosa, mieux renseigné qu’il ne voulait bien le laisser voir,
avait-il pris d’autres dispositions mystérieuses concernant Fausta
et qui eussent donné à réfléchir à celle-ci, si elle les avait
connues. Peut-être !
Fausta était d’accord avec d’Espinosa et le roi en ce qui
concernait Pardaillan seulement. Le plan que le grand inquisiteur
se chargeait de mettre à exécution était, en grande partie, son
œuvre à elle.
Là s’arrêtait l’accord. Fausta voulait bien livrer Pardaillan
parce qu’elle se jugeait impuissante à le frapper elle-même, mais
elle voulait sauver don César, indispensable à ses projets
d’ambition. Sur ce point, elle devenait l’adversaire de ses alliés,
et nous avons vu qu’elle aussi avait pris toutes ses dispositions
pour les tenir en échec.
Sauver le prince, lui déblayer l’accès du trône, le hisser sur
ce trône, c’était parfait, à la condition que le prince devînt son
époux, consentît à rester entre ses mains un instrument docile,
faute de quoi toute cette entreprise gigantesque n’avait plus sa
raison d’être. Or le prince, au lieu d’accepter avec enthousiasme,
comme elle l’espérait, l’offre de sa main, s’était montré très
réservé.
À cette réserve, Fausta n’avait vu qu’un motif : l’amour du
prince pour sa bohémienne. C’était là le seul obstacle,
croyait-elle.
Fausta se trompait dans son appréciation du caractère du Torero,
comme d’Espinosa s’était trompé dans la sienne sur celui de
Pardaillan. Comme d’Espinosa, sur une erreur elle bâtit un plan
qui, même s’il se fût réalisé, eût été inutile.
La Giralda étant, dans son idée, l’obstacle, sa suppression
s’imposait. Fausta avait jeté les yeux sur Barba-Roja pour mener à
bien cette partie de son plan. Pourquoi sur Barba-Roja ? Parce
qu’elle connaissait la passion sauvage du colosse pour la jolie
bohémienne.
Dans la partie suprême qu’elle tentait, Fausta, prodigieux
metteur en scène, avait assigné à
Weitere Kostenlose Bücher