Les amours du Chico
faut toujours que je m’aille fourrer là où je n’ai
que faire. Que la peste m’étouffe si cette fois-ci n’est pas la
dernière ! »
Et avec son sourire railleur, il ajouta :
– Si toutefois j’en réchappe…
Mais après s’être ainsi libéralement invectivé, selon son
habitude, il resta quand même. Et comme il sentait autour de lui
gronder la colère, comme il ne voyait que visages renfrognés ou
menaçants, il se hérissa plus que jamais, toute son attitude devint
une provocation qui s’adressait à une multitude.
Comme on le voit, la partie était loin d’être égale, et comme le
pensait judicieusement le chevalier, il avait toutes les chances
d’être emporté par la tourmente.
Chapitre 7 LA CORRIDA
Lorsque Pardaillan s’assit au premier rang des gradins, à la
place que d’Espinosa avait eu la précaution de lui faire garder,
les trompettes sonnèrent.
C’était le signal impatiemment attendu annonçant que le roi
ordonnait de commencer.
Barba-Roja avait été désigné pour courir le premier taureau. Le
deuxième revenait à un seigneur quelconque dont nous n’avons pas à
nous occuper ; le troisième au Torero.
Barba-Roja, muré dans son armure, monté sur une superbe bête
caparaçonnée de fer comme le cavalier, se tenait donc à ce moment
dans la piste, entouré d’une dizaine d’hommes à lui, chargés de le
seconder dans sa lutte.
La piste était en outre envahie par une foule de gentilshommes
qui n’y avaient que faire, mais éprouvaient l’impérieux besoin de
venir parader là, sous les regards des belles et nobles dames
occupant les balcons et les gradins. Tout ce monde papillonnait,
papotait, tournait, virait, riait haut, s’efforçait par tous les
moyens d’attirer l’attention sur lui, s’efforçait surtout, ne
fût-ce qu’un centième de seconde, d’attirer l’attention du roi,
toujours glacial dans sa pose ennuyée.
Nécessairement, on entourait et complimentait Barba-Roja, raide
sur la selle, la lance au poing, les yeux obstinément fixés sur la
porte du toril par où devait pénétrer la bête qu’il allait
combattre.
En dehors de la foule des gentilshommes inutiles et des
a
reneros
de Barba-Roja, il y avait tout un peuple
d’ouvriers chargés de l’entretien de la piste, d’enlever les
blessés ou les cadavres, de répandre du sable sur le sang, de
l’ouverture et de la fermeture des portes, enfin de mille et un
petits travaux accessoires dont la nécessité urgente se révélait à
la dernière minute. Tout ce monde de travailleurs était
naturellement fort bousculé et fort gêné par la présence de ces
importuns gentilshommes, qui, d’ailleurs, n’en avaient cure.
Lorsque les trompettes sonnèrent, ce fut une débandade générale
qui excita au plus haut point l’hilarité des milliers de
spectateurs et eut l’insigne honneur d’arracher un mince sourire à
Sa Majesté.
On savait que l’entrée du taureau suivait de très près la
sonnerie et, dame ! nul ne se souciait de se trouver soudain
face à face avec la bête. Aussi fallait-il voir comme les nobles
seigneurs, confondus avec la tourbe des manants, jouaient
prestement des jambes, tournaient le dos à la porte du toril, se
ruaient vers les barrières et les escaladaient avec une
précipitation qui dénotait une frayeur intense. Il fallait entendre
les lazzi, les quolibets, les encouragements ironiques, voir les
huées de la foule mise en liesse par ces fuites éperdues.
Ce bref intermède, c’était la comédie préludant au drame.
Les derniers fuyards n’avaient pas encore franchi la barrière
protectrice, les hommes de Barba-Roja, qui devaient supporter le
premier choc du fauve, achevaient à peine de se masser prudemment
derrière son cheval, que déjà le taureau faisait son entrée.
C’était une bête splendide : noire tachetée de blanc, sa
robe était luisante et bien fournie, les jambes courtes et
vigoureuses, le cou énorme ; la tête puissante, aux yeux noirs
et intelligents, aux cornes longues et effilées, était fièrement
redressée, dans une attitude de force et de noblesse
impressionnantes.
En sortant du toril, où depuis de longues heures il était
demeuré dans l’obscurité, il s’arrêta tout d’abord, comme ébloui
par l’aveuglante lumière d’un soleil rutilant, inondant la place.
Le taureau se présentant noblement, les bravos saluèrent son
entrée, ce qui parut le surprendre et le déconcerter.
Bientôt, il se ressaisit et il
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