Les amours du Chico
nous faisons un exposé de la situation des partis en
présence, il nous paraît juste, laissant pour un instant ces
puissants personnages à leurs préparatifs, de voir un peu ce qu’on
avait à leur opposer du côté adverse.
D’une part, nous trouvons une jeune fille, la Giralda,
complètement ignorante des dangers qu’elle court, naïvement
heureuse de ce qu’elle croit un hasard qui lui permet d’admirer, en
bonne place l’élu de son cœur.
D’autre part, un jeune homme, El Torero. S’il avait des
appréhensions, c’était surtout au sujet de sa fiancée. Un secret
instinct l’avertissait qu’elle était menacée. Pour lui-même, il
était bien tranquille. Ainsi qu’il l’avait dit à Pardaillan, il
croyait fermement que Fausta avait considérablement exagéré les
dangers auxquels il était exposé. Pour mieux dire, il n’y croyait
pas du tout.
Quelle apparence que le roi, maître absolu du royaume, eût
recours à un assassinat alors qu’il lui était si facile de le faire
arrêter ? Il restait persuadé qu’il était d’illustre famille.
De là à se croire de Sang royal, il y avait loin. Cette
M me Fausta le croyait décidément plus naïf qu’il
n’était.
Cependant, il voulait bien admettre que quelque ennemi inconnu
avait intérêt à sa mort. En ce cas, le pis qui pouvait lui arriver
était d’être assailli par quelques coupe-jarrets, et, Dieu
merci ! il se sentait de force à se défendre vigoureusement.
Et sur ce point, comme il n’était ni borgne ni manchot, il verrait
venir. D’ailleurs, on ne viendrait pas l’attaquer dans la piste,
quand il serait aux prises avec le taureau. Ce n’est pas non plus
dans les coulisses de l’arène, coulisses à ciel ouvert, sous les
yeux de la multitude, qu’on viendrait lui chercher noise. Donc
toutes les histoires de M me Fausta n’étaient que…
des histoires.
S’il avait pu voir les mouvements de troupes surpris par
Pardaillan, il aurait perdu quelque peu de cette insouciante
quiétude.
Enfin il y avait Pardaillan.
Pardaillan sans partisans, sans alliés, sans troupes, sans amis,
seul, absolument seul.
Pardaillan, malheureusement s’était écarté de l’excavation par
où il entendait ce qui se disait et voyait ce qui se passait dans
la salle souterraine où se réunissaient les conjurés, au moment où
Fausta parlait à Centurion de la Giralda. Il ne croyait donc pas
que la jeune fille fût menacée.
En revanche, il savait pertinemment ce qui attendait le Torero.
Il savait que l’action serait chaude et qu’il y laisserait
vraisemblablement sa peau. Mais il avait dit qu’il serait là et la
mort seule eût pu l’empêcher de tenir sa promesse.
Chose incroyable, l’idée ne lui vint pas que les formidables
préparatifs qui s’étaient faits sous ses yeux pouvaient tout aussi
bien le viser, lui, que le Torero. Non. Il crut que tout cela était
à l’adresse de son jeune ami. L’extravagante modestie, qui était le
fond de son caractère, faisait qu’il n’avait jamais pu se résoudre
à s’accorder à soi-même la valeur et l’importance que tous, grands
et petits, lui accordaient.
Et quand, par hasard, une occasion se présentait où il lui était
impossible de ne pas s’apercevoir que l’admiration ou la terreur
allait à lui, Pardaillan, et non à d’autres, il se trouvait
« tout bête » et sincèrement ébahi. Il paraissait
toujours se demander : « Qu’ai-je donc fait de si
extraordinaire ? »
L’extraordinaire était qu’il trouvait ses actes très naturels et
très ordinaires.
De ce qu’il ne se croyait pas directement menacé, il ne s’ensuit
pas qu’il s’estimait en parfaite sécurité au milieu de cette foule
de seigneurs dont il sentait la sourde hostilité. Il se disait, au
contraire, avec cette franchise bougonne qui lui était particulière
quand il jugeait à propos de s’admonester soi-même :
« Qu’avais-je besoin de venir me fourrer dans ce
guêpier ? Du diable si M. d’Espinosa ou
M me Fausta, dans la mêlée que j’entrevois, ne
trouvent pas l’occasion propice de m’expédier dans l’autre monde,
ainsi qu’ils en grillent d’envie. Ce serait, par ma foi, bien fait
pour moi, car enfin, je suis d’âge à me conduire raisonnablement,
ou je ne le serai jamais. Or, mon pauvre père me l’a répété maintes
fois : la raison commande de ne point se mêler de ce qui ne
vous regarde pas. Mais voilà ! avec ma sotte manie de faire le
joli cœur, il
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