Les amours du Chico
désagréable
obligation de dresser sa tente près de celle de Barba-Roja.
Sans qu’elle s’en doutât, ce voisinage déplaisant était dû à une
intervention de Fausta. Voici comment :
Le roi et son grand inquisiteur avaient résolu l’arrestation de
don César et de Pardaillan. Le roi poursuivait de sa haine, depuis
vingt ans, son petit-fils. Cette haine sauvage, que vingt années
d’attente n’avaient pu atténuer, était cependant surpassée par la
haine récente qu’il venait de vouer à l’homme coupable d’avoir
douloureusement blessé son incommensurable orgueil. Nous pouvons
même dire que Pardaillan était devenu leur principale
préoccupation, et qu’à la rigueur ils eussent oublié le fils de don
Carlos pour porter tout leur effort sur le chevalier.
Si le roi n’obéissait qu’à sa haine, d’Espinosa, au contraire,
agissait sans passion et n’en était que plus redoutable. Il
n’avait, lui, ni haine, ni colère. Mais il craignait Pardaillan.
Chez un homme froid et méthodique, mais résolu, comme l’était
d’Espinosa, cette crainte était autrement dangereuse et plus
terrible que la haine. Un caractère fortement trempé, comme celui
du grand inquisiteur, peut céder à une impulsion, bonne ou
mauvaise. Il demeure inflexible devant une nécessité démontrée par
la logique du raisonnement. Dès l’instant où il craignait un
hommes, cet homme, quel qu’il fût, était inexorablement condamné.
Il devait disparaître coûte que coûte.
De l’intervention de Pardaillan dans les affaires du petit-fils
du roi, d’Espinosa avait conclu qu’il en savait beaucoup plus qu’il
ne paraissait ; que, par ambition personnelle, il se faisait
le champion et le conseiller d’un prince qui fût demeuré sans nom
et peu redoutable sans ce concours inespéré.
L’erreur de d’Espinosa était de s’obstiner à voir un ambitieux
en Pardaillan. La nature chevaleresque et désintéressée au possible
de cet homme, si peu semblable aux hommes de son époque, lui avait
complètement échappé. Il ne pouvait en être autrement, le
désintéressement étant peut-être la seule vertu que les hommes ont
toujours niée et nieront probablement longtemps encore.
En ce qui concerne Pardaillan, il se fût dit qu’ému de
l’acharnement avec lequel des personnages, disposant de la
toute-puissance, poursuivaient un être pauvre et inoffensif, dans
la bonté de son cœur il avait résolu de prêter l’appui de son bras
à la victime menacée, comme on tente d’arracher aux mains d’une
brute, abusant de sa force, la créature trop faible qu’il est en
train d’assommer. Le geste du prince défendant sa vie était humain,
celui de l’aventurier venant à son secours était aussi humain. Il
était, de plus, généreux. Cette défense légitime n’impliquait pas
forcément l’offensive.
D’Espinosa ne se dit rien de tout cela.
S’il eût mieux compris le caractère de son adversaire, il se fût
rendu compte que jamais Pardaillan n’eût consenti à la besogne
qu’on le soupçonnait capable d’entreprendre. Il est certain que si
le Torero avait manifesté l’intention de revendiquer des droits
inexistants, étant données les conditions anormales de sa
naissance, s’il avait fait acte de prétendant, comme on s’efforçait
de le lui faire faire, Pardaillan lui eût tourné dédaigneusement le
dos. En condamnant un homme sur le seul soupçon d’une action qu’il
était incapable de concevoir, d’Espinosa commettait donc lui-même
une méchante action. Rendons-lui du moins cette justice de dire
qu’il était sincère dans sa conviction. Tant il est vrai que nous
ne voulons prêter aux autres que les sentiments que nous sommes
capables d’avoir nous-mêmes.
Ensuite, et nous passons ici du général au particulier,
d’Espinosa n’était pas fâché de se défaire d’un homme à qui il
avait fait certaines confidences qui pouvaient, s’il lui prenait
fantaisie de les divulguer, le conduire droit au bûcher, tout grand
inquisiteur qu’il fût. Mais ceci n’était que secondaire. S’il
n’avait pu comprendre l’extraordinaire générosité de Pardaillan, il
ne faut pas oublier que d’Espinosa était gentilhomme. Comme tel il
avait foi en la parole donnée et en la loyauté de son adversaire.
Sur ce point il avait su justement l’apprécier.
Donc d’Espinosa et le roi, son maître, étaient d’accord sur ces
deux points : la prise et la mise à mort de Pardaillan et
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