Les amours du Chico
Comme une
traînée de poudre, son nom, prononcé par un quelconque témoin de la
scène de l’antichambre, avait volé de bouche en bouche.
Lorsque Pardaillan parvint à sa place, il jeta un coup d’œil
machinal autour de lui et demeura stupéfait. Il ne voyait que
regards haineux et attitudes menaçantes. N’eussent été le lieu et
la présence du roi, il eût été provoqué séance tenante par vingt,
cinquante énergumènes qu’il n’avait jamais vus.
Et comme notre chevalier n’était pas homme à se laisser défier,
même du regard, sans répondre à la provocation, au lieu de
s’asseoir il resta un moment debout à sa place, promenant autour de
lui des regards fulgurants, ayant aux lèvres un sourire de mépris
qui faisait verdir de rage les nobles hidalgos retenus par le souci
de l’étiquette.
Et voici qu’au moment où il provoquait ainsi du regard ces
ennemis inconnus, voici que les trompettes lancèrent à toute volée,
dans l’air lumineux, l’éclat aigu de leurs notes cuivrées.
C’était le signal impatiemment attendu par les milliers de
spectateurs. Mais s’il éclatait à ce moment, c’était par suite
d’une méprise déplorable : un geste du roi mal interprété.
Il n’en est pas moins vrai que les trompettes, sonnant au moment
précis où Pardaillan allait s’asseoir, paraissaient saluer l’envoyé
du roi de France.
C’est ce que comprit le roi, qui, pâle de fureur, se tourna vers
Espinosa et laissa tomber un ordre bref, en exécution duquel
l’officier coupable d’avoir mal interprété les gestes du roi, et
donné l’ordre aux trompettes de sonner, fut incontinent arrêté et
mis aux fers.
C’est ce que comprirent les furieux qui entouraient Pardaillan
et qui firent entendre des protestations violentes.
C’est ce que comprit enfin le chevalier lui-même, car il fit
cette réflexion dans son for intérieur : « Peste !
on me rend les honneurs ! Ah ! mon pauvre père, que
n’êtes-vous là pour voir votre fils ainsi honoré ! »
On se tromperait également si on croyait qu’il fut dupe de
l’erreur. Il n’était pas homme à se leurrer à ce point. Mais
c’était un incorrigible pince-sans-rire que notre héros. Il trouva
plaisant de paraître accepter comme un hommage rendu ce qui n’était
qu’un hasard fortuit. Et comme il n’avait pas le moindre souci du
respect dû à une tête couronnée, surtout quand cette tête lui était
antipathique, il résolut de « se la payer » à l’instant
même.
« Vive Dieu ! dit-il à part soi, une politesse en vaut
une autre. »
Et avec son sourire le plus naïvement ingénu, mais au fond de
l’œil l’intense jubilation de l’homme qui s’amuse prodigieusement,
dans un geste théâtral qu’il était seul à posséder, il adressa à la
tribune royale un salut d’une ampleur démesurée.
Par comble de malchance, le roi, qui se retournait à ce moment
pour jeter l’ordre d’arrêter l’officier qui avait fait sonner les
trompettes, le roi reçut en plein le sourire et le salut de
Pardaillan. Et comme c’était un sire profondément dissimulé, il
dut, en se mordant les lèvres de dépit, répondre par un gracieux
sourire, à seule fin de ne pas contrarier le plan du grand
inquisiteur, plan qu’il connaissait et approuvait.
C’était plus que n’espérait Pardaillan, qui s’assit alors
paisiblement en jetant des coups d’œil satisfaits autour de lui.
Mais, comme si un enchanteur avait passé par là, bouleversant de
fond en comble les sentiments intimes de ses féroces voisins, il ne
vit autour de lui que sourires engageants, regards bienveillants.
Et, avec aux lèvres, une moue de dédain, il songea que le sourire
que le roi venait de lui accorder, moralement contraint et forcé,
avait suffi pour changer la haine en adulation.
Pardaillan s’assit et, nouvelle coïncidence fâcheuse, résultant
de la sonnerie des trompettes, mais qui n’en fit pas moins pâlir de
fureur le roi, le premier taureau fit son entrée dans la piste.
En sorte que Pardaillan, sur les gradins, salué par les
trompettes, faisant commencer le spectacle en s’asseyant,
apparaissait comme le vrai président de la course, celui que les
amateurs de corridas modernes appellent
l’ayuntamiento…
comme la Giralda, placée en avant de la foule, assise entre deux
hommes d’armes, paraissait comme la reine de la fête.
Chapitre 6 LE PLAN DE FAUSTA
Nous avons dit que le Torero s’était trouvé dans la
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