Les amours du Chico
chacun son rôle. Mais pour que la
réussite fût assurée, il importait que chacun se tînt strictement
dans les limites du rôle qui lui était dévolu.
Admirablement renseignée sur tous ceux qu’elle utilisait, elle
savait que Barba-Roja était une brute incapable de résister à ses
passions. Son amour, violent, brutal, était plutôt du désir sensuel
que de la passion véritable.
En revanche, à la suite de l’humiliation sanglante qu’il lui
avait infligée, Barba-Roja s’était pris pour Pardaillan d’une haine
féroce, auprès de laquelle celle de Philippe II pouvait passer pour
bénigne. Si le hasard voulait que le colosse se trouvât là quand on
procéderait à l’arrestation du chevalier, il était homme à oublier
momentanément son amour pour, se ruer sur celui qu’il haïssait.
Or, la besogne de Barba-Roja était toute tracée. À lui incombait
le soin de débarrasser Fausta de la Giralda en enlevant la jeune
fille. Il fallait, de toute nécessité ; qu’il s’en tînt au
rôle qu’elle lui avait assigné.
Il va sans dire que le dogue du roi était un instrument
inconscient entre les mains de Fausta, laquelle avait prudemment
évité d’entrer en relations avec lui. Il ne fallait pas, en effet,
que le prince pût la soupçonner d’être pour quelque chose dans la
disparition et la mort de sa fiancée. Du moins, pas tant que le
prince ne serait pas devenu son époux. Après, la chose n’aurait
plus d’importance.
Fausta n’avait pas hésité. L’intelligence de Barba-Roja était
loin d’égaler sa force. Centurion, stylé par Fausta, était arrivé
aisément à le persuader que Pardaillan était épris de la
bohémienne. Et avec cette familiarité cynique qu’il affectait quand
il se trouvait seul avec le dogue du roi, il avait conclu en
disant :
– Beau cousin, soufflez-lui le tendron. Quand vous en serez
las, vous le lui renverrez… quelque peu endommagé. Croyez-moi,
c’est là une vengeance autrement intéressante que le stupide coup
de dague que vous rêvez. Ne voyez-vous pas d’ici sa douleur et son
désespoir en retrouvant flétrie, déshonorée, celle qu’il
adore ?
Et Barba-Roja, donnant tête baissée dans le panneau, s’était
écrié :
– Par la Vierge sainte ! ton idée est magnifique.
Ah ! le Français du diable est féru d’amour pour la gente
bohémienne ! Puisse ma carcasse être dévorée par les chiens si
je ne lui enlève pas la belle à son nez et à sa barbe ! Et
quand j’en serai las, je la lui renverrai, comme tu dis, mais non
pas vivante… il serait capable de s’en contenter. Je la lui
renverrai avec six pouces de fer dans la gorge. Et j’espère bien
que le ciel me donnera cette joie de le voir crever de rage et de
désespoir sur le cadavre de celle qui aura été la jolie
Giralda !
Barba-Roja étant lancé sur cette piste, par surcroît de
précaution, Fausta lui avait fait donner l’ordre de prendre part à
la course. Le roi s’était fait tirer l’oreille. Il n’avait pas
pardonné à son dogue une défaite qui lui paraissait trop
facile.
Mais d’Espinosa avait fait remarquer que ce serait là une
manière de montrer que les coups de Pardaillan n’étaient pas, au
demeurant, si terribles, puisqu’ils n’empêchaient pas celui qui les
avait reçus de lutter contre le taureau, quarante-huit heures
après. Le roi s’était laissé convaincre, et c’est ainsi que le
Torero s’était trouvé, à son grand déplaisir, avoir pour voisin
l’homme qui convoitait sa fiancée.
Quant à Barba-Roja il ne se tenait pas de joie, et malgré que
son bras le fît encore souffrir, il s’était juré d’estoquer
proprement son taureau pour se montrer digne de la faveur royale
qui s’étendait sur lui au moment où, précisément, il avait lieu de
se croire momentanément en disgrâce. Car c’était une faveur d’être
désigné par le roi pour a
lancear en coso.
Par cette dernière précaution, Fausta s’était sentie plus
tranquille. Barba-Roja, après avoir couru son taureau, serait
occupé avec la Giralda. Une rencontre entre lui et Pardaillan
serait ainsi évitée. Et comme Fausta prévoyait tout, au cas où
Barba-Roja, blessé par le taureau, ne pourrait participer à
l’enlèvement de la jolie bohémienne, Centurion et ses hommes
opéreraient sans lui et à son lieu et place. L’essentiel étant que
la Giralda disparût, pour le reste, le colosse la retrouverait
quand il serait remis de ses blessures.
Puisque
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