Les Aventures de Nigel
des lois de l’hospitalité ; car son père lui avait fait une religion des maximes les plus strictes de la foi nationale, et avait formé ses mœurs d’après les principes les plus délicats de l’honneur. Il n’avait pu se garantir de cette faiblesse qui domine dans son pays, une fierté excessive causée par sa naissance, et une disposition à apprécier le mérite et l’importance des autres d’après le nombre et la renommée de leurs ancêtres ; mais cet orgueil de famille était subjugué, et en général presque entièrement dissimulé par son bon sens et sa politesse.
Tel que nous venons de le décrire, Nigel Olifaunt, ou plutôt le jeune lord Glenvarloch, était, à l’instant où le prend notre narration, dans de grandes inquiétudes sur le sort de son fidèle et unique serviteur. Il avait envoyé la veille dans la matinée, et de très-bonne heure, Richard Moniplies jusqu’à la cour, à Westminster. Vingt-quatre heures s’étaient écoulées, et il n’était pas encore de retour. Nos lecteurs connaissent déjà ses aventures de la soirée, et à cet égard ils sont plus instruits que ne l’était son maître. Cependant dame Nelly, tout en partageant les inquiétudes de son hôte, cherchait à les lui faire oublier. Elle lui servit pour déjeuner une belle tranche de bœuf froid, saupoudrée de sel, avec son accompagnement ordinaire de carottes et de navets ; lui recommanda sa moutarde comme sortant directement de la boutique de son cousin de Tewksbury, lui épiça sa rôtie de ses propres mains ; et ce fut de ses propres mains encore qu’elle lui tira un pot d’ale mousseuse. Tels étaient, à cette époque, les élémens dont se composait un déjeuner.
Quand elle vit que l’inquiétude de son hôte l’empêchait de faire honneur au repas qu’elle lui avait préparé, elle commença la litanie des consolations verbales avec la volubilité ordinaire aux femmes de son état qui, sachant qu’elles ont quelque beauté, de bonnes intentions et de bons poumons, ne craignent ni de se fatiguer ni d’ennuyer leurs auditeurs.
– Hé bien ! qu’est-ce à dire ? faudra-t-il que nous vous renvoyions en Écosse aussi maigre que vous êtes arrivé ? cela serait contraire au cours naturel des choses. Voilà le père de mon homme, le vieux Sandie Christie ; j’ai entendu dire que c’était un squelette quand il est arrivé du nord : hé bien ! quand il est mort, il y a eu dix ans à la Saint-Barnabé, il pesait cent soixante livres. J’étais encore jeune fille dans ce temps, et je demeurais dans le voisinage. Je ne pensais guère à épouser John, car il a une bonne vingtaine d’années de plus que moi ; mais il fait bien ses affaires, et il est bon mari. Et son père, comme je vous le disais, est mort gras comme un marguillier. Hé bien ! monsieur… mais j’espère que mon petit bavardage ne vous a pas offensé. Je me flatte que l’ale est au goût de Votre Honneur ; et le bœuf, et la moutarde ?
– Tout est excellent, répondit Olifaunt ; tout n’est que trop bon ; tout est chez vous si propre et si avenant, dame Nelly, que je ne sais comment je vivrai quand je serai de retour dans mon pays, si jamais j’y retourne.
Il ajouta ces derniers mots presque involontairement, et ils furent accompagnés d’un profond soupir.
– Je garantis que Votre Honneur y retournera si bon lui semble ; à moins que vous ne préfériez prendre en Angleterre une jolie femme ayant une bonne dot, comme l’ont fait plusieurs de vos compatriotes. Je vous assure que quelques-unes des femmes les plus huppées de la Cité ont épousé des Écossais. Lady Trebleplumb, veuve de sir Thomas Trebleplumb, ce riche marchand de Turquie, a épousé sir Awley Macauley, que Votre Honneur connaît sans doute ; et la jolie mistress Doublefee, la fille du vieil avocat Doublefee, qui sauta par la fenêtre de la maison de son père, épousa à la dernière foire de mai un Écossais dont le nom est si dur que je ne saurais le prononcer. Les deux filles du vieux Pitchpost, le marchand de bois, n’ont guère fait mieux, puisqu’elles ont épousé deux Irlandais ; et, quand quelqu’un s’avise de faire des gorges chaudes de ce que j’ai pour locataire un Écossais, voulant dire Votre Honneur, je lui réponds que c’est qu’il a peur pour sa fille ou pour sa femme. En bonne conscience, j’ai droit de soutenir les Écossais, puisque John Christie l’est à moitié ; et, comme je vous le disais, il
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