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Les Aventures de Nigel

Les Aventures de Nigel

Titel: Les Aventures de Nigel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Walter Scott
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supplanté par d’autres ; ou, si le siècle est assez pauvre en hommes de génie pour qu’il n’ait pas à craindre cette rivalité, sa réputation même devient son plus grand ennemi. Le public s’attendra à trouver le nouvel ouvrage dix fois meilleur que celui qui l’a précédé ; l’auteur espérera une popularité dix fois plus grande, et il y a cent contre un à parier qu’on sera trompé de part et d’autre.
    LE CAPITAINE. – Cela peut justifier un certain degré de rapidité dans le travail d’un instant ; mais il ne faut pas perdre de vue ce vieux proverbe : Hâte-toi lentement. Vous devriez au moins prendre le temps nécessaire pour bien arranger votre plan.
    L’AUTEUR. – C’est là le difficile, mon fils. Croyez-moi, je n’ai pas été assez sot pour négliger les précautions ordinaires. Il m’est arrivé bien souvent de disposer le plan d’un ouvrage, de le diviser par volumes et par chapitres détachés, de construire une fable qui pût se développer graduellement d’une manière frappante, capable de tenir en suspens la curiosité, de l’exciter même ; et qui, enfin, se terminât par une catastrophe remarquable. Mais je crois qu’un démon se place sur le bout de ma plume quand je me mets à écrire, et la détourne du but. Les caractères se développent sous ma main ; les incidens se multiplient, l’histoire languit pendant que les matériaux augmentent ; ma construction régulière se change en une irrégularité gothique, et l’ouvrage est achevé long-temps avant que j’aie atteint l’objet que je me proposais.
    LE CAPITAINE. – Avec de la résolution et une patience déterminée, vous pourriez remédier à cet inconvénient.
    L’AUTEUR. – Hélas ! mon cher monsieur, vous ne connaissez pas la force de la tendresse paternelle. Lorsque je rencontre un caractère tel que le bailli Jarvie, ou Dalgetty, mon imagination s’échauffe, et mes idées s’éclaircissent à chaque pas que je fais dans la campagne ; quoiqu’elle m’entraîne bien loin de la route tracée, et qu’elle me force de franchir haies et fossés pour rentrer dans le bon chemin. Si je résiste à la tentation, comme vous me le conseillez, mes idées deviennent prosaïques, plates et lourdes ; j’écris d’une manière pénible pour moi-même, et je sens un abattement toujours croissant ; les couleurs brillantes dont mon imagination avait revêtu les incidens disparaissent, et tout devient terne et sombre. Je ne suis plus le même auteur, pas plus que le chien condamné à tourner pendant plusieurs heures pour faire marcher la roue d’une machine ne ressemble au même animal courant gaiement après sa queue, et prenant librement ses ébats sans gêne et sans contrainte. Bref, monsieur, dans ces occasions, je crois que je suis ensorcelé.
    LE CAPITAINE. – Ma foi, monsieur, si les sortilèges s’en mêlent, il n’y a plus rien à dire, il faut bien marcher quand le diable nous pousse. Et telle est sans doute la raison qui fait que vous ne lancez aucun ouvrage sur la scène, comme vous y avez été si souvent engagé ?
    L’AUTEUR. – Je pourrais alléguer, comme une excellente raison pour ne pas écrire de pièces de théâtre, mon incapacité pour construire un plan. Mais à vous parler franchement, ce qui a fait penser à des juges trop prévenus que je pouvais avoir quelques dispositions pour ce genre de littérature, ce sont ces lambeaux d’anciennes comédies qu’ils ont considérés comme le fruit de mon cerveau, parce qu’ils ont été tirés d’une source inaccessible aux compilateurs. La manière dont je devins le possesseur de ces fragmens est si extraordinaire, que je ne puis m’empêcher de vous la raconter.
    Vous saurez qu’il y a une vingtaine d’années j’allai dans le Worcestershire pour voir un de mes anciens amis qui avait servi avec moi dans les dragons.
    LE CAPITAINE. – Vous avez donc servi, monsieur ?
    L’AUTEUR. – Que j’aie servi ou non, cela revient au même : le titre de capitaine est très-utile en voyage. – Je trouvai par hasard la maison de mon ami remplie d’hôtes ; et, comme d’usage, je fus condamné (le château étant fort ancien) à habiter l ’appartement hanté. J’ai, comme l’a dit un illustre contemporain, vu trop de spectres pour y croire ; ainsi je m’apprêtais à m’endormir, bercé par le vent qui sifflait à travers les tilleuls dont les branches obscurcissaient la clarté de la lune réfléchie dans la

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