Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec: Le roman du film
Puis il les agite, avec plus de conviction. Mais une grimace contrariée tord son visage sans âge.
On dirait que quelque chose le bloque, l’oppresse, comme s’il était enfermé.
Ce sont les vitres qui enferment les débris de l’œuf et l’animal qui en est sorti. Le reptile volant s’affole et frappe soudain la vitrine d’un grand coup de bec. Le bruit de verre brisé résonne dans le silence. L’animal saute à terre, de moins en moins maladroit, et regarde autour de lui avec ses gros yeux aux mouvements quasi mécaniques.
Il aperçoit une grande peinture encadrée de moulures dorées, une vue d’artiste très dramatique représentant ses parents en plein vol au-dessus de volcans du jurassique en éruption. Il la regarde et, pendant une fraction de seconde, l’on pourrait imaginer qu’il est ému par cette vision empreinte d’une nostalgie incommensurable. Mais il déploie gauchement ses grandes ailes et fait ses premiers battements sous l’immense verrière du Muséum, tandis qu’Espérandieu, la mine soudain réjouie, bat des bras dans son salon franchement plus petit.
Le reptile s’envole maladroitement, prend de l’assurance, et tournoie dans ce vaste espace, évitant les immenses squelettes qui se dressent presque jusqu’au plafond vitré. Son instinct le pousse à la recherche d’une sortie. En vain. Apercevant la lune et imaginant la verrière à peine plus résistante que sa vitrine, il fonce vers le toit et pulvérise un morceau du plafond de verre.
Dans son salon Espérandieu se contorsionne un peu dans son fauteuil, puis retrouve un équilibre avant de reprendre son vol imaginaire. Le ptérodactyle, lui, a pris son véritable envol et il s’élance au-dessus de la capitale. La pleine lune fait étinceler la Seine et découpe la silhouette de ce monstre issu du fond des âges.
Le regard ivre de bonheur, Espérandieu bat des bras dans son appartement. Il se met progressivement à rire, comme s’il n’en revenait pas d’avoir réussi. Son rire devient fou, malade, délirant, préhistorique…
Il résonne en écho sur le vol du ptérodactyle qui surplombe les toits de Paris. Et le vol du saurien passe devant une fenêtre éclairée à cette heure tardive, sans que l’occupant de cet appartement ne le voie. Est-ce enfin l’appartement d’Adèle Blanc-Sec ?
Chapitre 3
Froufrous, poésie, sexe, et épouvante,
juste avant un appel aux cieux…
Même la police est dépassée…
N on, ce n’est pas l’appartement d’Adèle, loin de là. Notre héroïne se fait attendre…
L’occupant des lieux – un modeste trois pièces cuisine – est un homme d’une quarantaine d’années, aux oreilles bien décollées et à la moustache suggestive, qui ronfle tout habillé au fond d’un gros fauteuil.
Alors que l’expérience la plus incroyable de ce début du siècle est en train de se produire sous nos yeux, l’inspecteur Albert Caponi a les siens fermés, et malgré les apparences, il ne dort que depuis deux minutes. Il revient à peine d’une mission où il a veillé toute la nuit, devant les entrepôts de la Seine, persuadé que le gang des Puisatiers profiterait de la pleine lune pour dérober de la marchandise, comme ils l’on déjà fait à cinq reprises. Mais le froid et les nuits blanches à répétition ont eu raison de l’inspecteur et il s’est écroulé dans son fauteuil, la fenêtre grand ouverte sur l’air glacé. Il a juste eu le temps d’enlever ses chaussures, qu’il tient encore à la main, mais pas d’atteindre son lit qui n’est pas défait.
Évidemment si l’inspecteur Caponi avait vu passer le ptérodactyle, le cours de l’Histoire aurait été bien différent, mais pour l’instant, personne ne reprochera ces deux minutes de sommeil à ce policier dont la loyauté et la persévérance lui ont valu, par le passé, bon nombre de distinctions. Notamment la médaille du mérite qui lui a été attribuée pour avoir élucidé avec succès le mystère des disparus de l’asile de Dreux. Médaille qu’il a reçue, comme on le voit sur une photographie encadrée posée sur sa table de nuit, de la main même du Préfet de l’Orne de l’époque : Raymond Pointrenaud.
Et justement, Raymond Pointrenaud ne dort pas, lui. L’ancien Préfet, tout juste nommé Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères est à l’arrière de sa voiture avec chauffeur qui traverse la ville déserte, et ça chahute pas mal
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