Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec: Le roman du film

à l’arrière car Raymond est vautré sur Nini-les-Gambettes.
    — Arrêtez, Raymond, vous me chatouillez, dit-elle en riant aux éclats.
    — Et vous, Nicole ! ça fait un mois que vous me chatouillez à me montrer vos jambes pleines de froufrous ! Un mois que je rêve de voir où elles se croisent !
    Nini rit de plus belle, tandis qu’il essaye de lui écarter les jambes. Le chauffeur jette un œil vers l’arrière.
    — Arrêtez, le chauffeur nous regarde, murmure Nini avec un regard coquin.
    — Que d’un œil, ma chère, je vous assure ! L’autre est sur la route !
    Le tout nouveau Secrétaire d’État embrasse sa danseuse avec fougue tout en essayant de la déshabiller d’une main. Nini-les-Gambettes commence à s’effriter et le chauffeur ramasse les miettes.
    — Un œil, peut-être, mais celui-ci en vaut bien deux ! réussit à dire Nini quand le baiser s’arrête enfin.
    — Laissez-lui ce plaisir, réplique Raymond qui ne lâche rien. Comme les milliers d’yeux qui vous admirent tous les soirs ! Qui vous dévorent !
    — Raymond ! Vos mots m’ensorcellent ! dit-elle, entre rire et plaisir, je ne sais pas si… nous…
    — Laissez-vous faire, ma fleur ! Laissez mon oiseau se poser sur vos branches !
    — Arrêtez ! dit-elle, éperdue. Vous m’affolez ! La poésie m’excite plus que tout !
    Raymond profite de cet aveu soudain pour se caler afin d’honorer sa compagne.
    — Vraiment ? dit-il, du ton fébrile d’un poète excité.
    — Oui, susurre Nini qui s’abandonne.
    Et tout en entrant dans le vif de la chose, Raymond déclame d’une voix qu’il voudrait inspirée du summum de l’art poétique :
    — Alors que la nuit s’éloigne en proie au chagrin
    Un beau soleil rougit des lueurs du matin,
    La sève gonfle dans la branche prête à fleurir
    Et du nid douillet, l’oiseau va bientôt sortir.
     
    La danseuse est au comble de l’excitation et s’apprête à jouir quand soudain le ptérodactyle surgit, tombant du ciel noir vers l’étrange proie que constitue cette voiture solitaire. Il vient percuter le pare-brise qui explose dans un fracas terrible.
    Le cri que Nini-les-Gambettes s’apprêtait à pousser se transforme en hurlement de terreur, d’horreur épouvantable et ancestrale partagée par les autres occupants de la voiture. Sous leurs yeux effarés, le reptile volant dégage son long bec du pare-brise et s’envole. Le chauffeur, blessé par les éclats de verre, a du mal à garder le contrôle de sa voiture qui s’engage sur le pont.
    Le ptérodactyle fait demi-tour dans le ciel noir et fonce à nouveau vers l’automobile qu’il prend, à l’évidence pour un iguanodon, un ennemi ou une proie facile en tout cas, isolée qu’elle est sur ce pont désert mais bien éclairé.
    Le monstre volant pique à nouveau sur la voiture, s’abat dessus et se met à arracher la capote avec ses serres.
    Épouvantée, Nini-Les-Gambettes agite les bras en l’air comme si elle pouvait chasser ce monstre, et Raymond fait ce qu’il peut pour la calmer. Le chauffeur a du sang plein les yeux et la voiture zigzague dangereusement, jusqu’à foncer droit sur le parapet du pont, qu’elle défonce avant de passer par-dessus bord pour s’abîmer dans les eaux froides et sombres de la Seine…
     

     
    Sur le pont désert, cette scène effroyable a pourtant eu un témoin : ce bon gros Ferdinand Choupard, qui s’apprêtait à franchir la Seine. Il ne savait pas qu’en s’essoufflant à fuir Jeanne d’Arc et ses lumières diaboliques il allait tomber sur un ptérodactyle en furie !
     

     
    Et cette scène a sans doute eu d’autres témoins, un sergent de ville en patrouille nocturne, probablement, car le téléphone sonne soudain dans l’appartement de l’inspecteur Caponi, avec un bruit très désagréable, d’ailleurs. Caponi sort de ses huit minutes de sommeil, la gueule de travers, expédiant par pur réflexe ses chaussures à l’autre bout de la pièce. Il a un ou plusieurs chats dans la gorge quand il réussit à décrocher le combiné pour répondre, et interrompre enfin cette sonnerie infernale qui lui vrille la tête.
    — Caponi, j’écoute… Hein ? Comment ça, dans la Seine ?
     

     
    La voiture du tout nouveau Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères s’étale effectivement sur le fleuve et il ne faut que quelques secondes aux eaux noires et tumultueuses pour engloutir l’automobile et ses occupants. Ferdinand Choupard