Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
d’aliments. Je ne m’en remplissais pas, et plus j’en
manquais plus j’en étais dégoûté.
Mon âme n’allait pas bien. Ulcérée, exilée, malheureuse et avide
d’attouchements avec des êtres sensibles (mais sans âme, ils ne pourraient jamais se faire aimer ! ). Aimer et être aimé m’était plus agréable
si je pouvais jouir du corps amant. Je salissais donc le flux de l’amitié
d’une concupiscence ordurière. Je noircissais sa candeur d’effrayants
désirs. Mais j’avais beau être abject et sordide, je me démenais pourtant
pour paraître élégant et urbain – quelle énorme vanité !
Je me suis rué dans l’amour. J’ai voulu être une proie.
Mon Dieu, mon amour, tu es si bon que tu as aspergé mon plaisir de
tant de fiel.
J’ai été aimé. J’ai connu dans la clandestinité les fers de la jouissance.
Tout à la joie d’être attaché par d’insupportables nœuds. J’étais
enflammé par les fouets de la jalousie, du soupçon, de la peur, de la
colère et des coups.
2.
J’étais captivé par le théâtre, ses représentations étaient remplies des
images de mon malheur et du combustible de mes passions.
Mais comment l’homme peut-il vouloir souffrir au spectacle de chagrins et de tragédies dont il ne voudrait pas pour lui-même ? Pourtant,
comme spectateur, il veut souffrir de cette douleur représentée, et jouir
de cette souffrance. Folie étonnante, n’est-ce pas ? Chacun est d’autant
plus ému qu’il est personnellement plus exposé à de tels sentiments. Et,
comme l’on dit, souffrir soi-même, c’est être malheureux ; compatir,
c’est avoir pitié. Mais où est cette pitié dans les fictions de la scène ? On
ne demande pas au spectateur de se porter au secours, on l’invite simplement à souffrir. Et on applaudira d’autant plus l’auteur de ces fictions qu’il nous aura fait davantage souffrir. Si ces drames humains,
imaginaires ou inspirés de notre histoire ancienne, sont représentés sans
faire souffrir le spectateur, c’est l’échec assuré, l’écœurement et les critiques. Mais à l’inverse, si le spectateur souffre, il est captivé et heureux.
3.
Oui, nous aimons les larmes et la souffrance.
Tout le monde préfère, bien sûr, être gai. Mais si on ne trouve jamais
du plaisir à son propre malheur, nous en avons, en revanche, quand
nous avons pitié, même si cela ne va jamais sans souffrir un peu. N’est-ce pas pourquoi alors nous aimerions souffrir ?
Tout vient de ce flux de l’amitié. Mais où va-t-il ? où coule-t-il ? pourquoi dévale-t-il comme un torrent de poix bouillante dans l’immense mer
houleuse de nos sombres envies où il se métamorphose et se transforme
volontairement, se détourne et déchoit de la transparence céleste ?
Il faudrait chasser la pitié. Non, non.
Aimer la souffrance ? Oui, parfois.
Mon âme
protège-toi des ordures
avec l’aide de mon Dieu
Dieu de nos pères
célébré toujours vanté
protège-toi des ordures
Encore aujourd’hui, il m’arrive d’avoir pitié. Mais, à l’époque, au
théâtre, j’ai partagé la joie des amants quand ils jouissaient abjectement
l’un de l’autre, quel que fût le degré imaginaire de leurs actes dans les
jeux scéniques. Et quand, au contraire, ils renonçaient l’un à l’autre, j’ai
compati en quelque sorte à leur tristesse. Dans les deux cas, j’ai pris du
plaisir.
Aujourd’hui, j’ai plus de pitié pour celui qui tire son plaisir de sa
propre abjection que pour celui qui souffre d’être frustré d’une volupté
malsaine ou d’un misérable bonheur. La pitié est d’autant plus authentique qu’elle ne prend plaisir à aucune souffrance. On approuve le commandement de l’amour : plaindre le malheur d’autrui. Mais pour qui
cède à la pitié, il est préférable, bien sûr, de ne pas en souffrir. Oui, car
s’il existait quelque chose comme une bienveillance malveillante, il
serait alors possible que celui qui s’apitoie véritablement, sincèrement,
en vienne à souhaiter l’existence d’êtres malheureux pour avoir à les
plaindre.
On peut comprendre une douleur mais on ne doit en aimer aucune.
et toi Seigneur Dieu
tu nous aimes
amour large et profond
plus pur que le nôtre
plus incorruptible
aucune douleur ne te déchire
Mais qui en est capable ?
4.
Moi, en ce temps-là, j’étais malheureux. J’aimais souffrir et je réclamais de quoi souffrir.
La pantomime des misères fictives d’autrui
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