Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
oiseaux les voient comme nous. Et ces corps sont plus avérés que ceux
de notre imagination. Et même, il est plus vrai de les imaginer que de
conjecturer d’après eux d’autres grandeurs infinies, absolument nulles.
Voilà de quels vides je me nourrissais sans me nourrir.
Toi, mon amour, en qui je m’abandonne pour devenir fort, tu n’es ni
ces corps que nous voyons, même dans le ciel, ni ceux que nous n’y
voyons pas. Tu les a créés mais ils n’appartiennent pas à tes plus hautes
créations.
Comme tu es loin de mes fantasmes, fantasmes de corps qui n’ont
aucune existence !
Les fantasmes les plus avérés sont les fantasmes des corps qui ont une
existence. Et les corps eux-mêmes sont plus avérés que leurs fantasmes,
et pourtant tu n’es pas ces corps. Et tu n’es pas non plus l’âme qui est la
vie des corps – pour cette raison meilleure comme vie des corps et plus
avérée que les corps eux-mêmes. Tu es la vie des âmes, la vie des vies,
vivant par toi-même, tu ne changes pas, vie de mon âme.
11.
Où étais-tu si loin, si loin de moi ?
J’étais si loin en terre étrangère, exclu de toi, et même privé des
cosses de ces porcs que je nourrissais de cosses.
Même les fables des grammairiens et des poètes valaient mieux que
ces mystifications. Les vers et le chant poétique, le vol de Médée par
exemple, sont bien plus utiles que les cinq éléments maquillés de
nuances diverses en rapport avec les cinq antres des Ténèbres qui n’ont
aucune existence et qui sont mortels si on y croit.
Oui, je pouvais puiser dans les vers et le chant une sorte de nourriture. Mais j’avais beau déclamer le vol de Médée, ce n’était pas pour
moi quelque chose de vraisemblable. J’avais beau l’entendre, je n’y
croyais pas alors que j’ai cru à ces mystifications.
Malheur. Malheur.
Par quelles marches ai-je descendu dans les profondeurs de ces
enfers ? oui, je m’échinais et je me débattais sans la vérité, et c’est toi,
mon Dieu – oui je te l’avoue – toi qui a eu pitié de moi alors que je ne
t’avais pas encore fait mes aveux –, et c’est toi que je cherchais, non pas
avec l’intelligence de l’esprit, qui me sert à dominer les grosses bêtes
comme tu l’as voulu, mais avec mes seules facultés physiques.
Tu étais plus intérieur que mon intimité, plus élevé que mes sommets.
Je suis tombé sur cette femme effrontée, imprudente, qui, dans
l’énigme de Salomon, est assise à la porte et dit :
le pain caché
mangez avec plaisir
et l’eau douce volée
buvez 5
Elle m’a séduit. Elle m’est apparue dehors quand j’habitais les yeux
de ma chair et que je ruminais ces choses que je venais de dévorer.
12.
J’ignorais l’autre vérité – la vraie, celle qui est.
Un aiguillon me poussait à prendre le parti de mes stupides trompeurs quand ils me demandaient d’où venait le mal, et si Dieu était
limité par une forme corporelle, s’il avait des cheveux et des ongles, et
s’il était juste d’avoir plusieurs femmes, ou de tuer des hommes et de
sacrifier des animaux.
J’étais ignare. Ces questions me perturbaient. Je m’éloignais de la
vérité alors que je m’imaginais aller vers elle. Je ne savais pas que le mal
n’est rien d’autre que la privation du bien, jusqu’au néant absolu.
Comment l’aurais-je vu ? Mes yeux ne voyaient pas au-delà des corps
et mon âme ne voyait pas au-delà des fantasmes.
Je ne savais pas que Dieu est un esprit et non quelqu’un avec des
membres, une longueur et une largeur, ni un être avec une masse, car le
poids d’une masse peut se diviser en différentes parts, et à supposer que
la masse soit infinie, son poids est moindre, limité à une part quelconque, dans un espace donné, que dans l’infini. Et elle n’est pas tout
entière partout comme un esprit, comme Dieu.
Ce qu’il y a en nous, ce que nous sommes, et que l’Écriture dit de
nous que nous sommes à l’image de Dieu, je l’ignorais totalement.
13.
Je ne connaissais pas la vraie justice intérieure, celle qui juge non
d’après l’habitude mais d’après la fine fleur de la loi du Dieu tout-puissant. Elle modèle les mœurs des pays et des époques en fonction
des pays et des époques, tout en restant elle-même partout et toujours,
sans distinction de lieu et de temps. D’après elle, étaient justes Abraham, Isaac et Jacob, Moïse et David, et tous ceux que la bouche de
Dieu a célébrés. Mais les mêmes
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