Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
rivalise avec
Rome. L’Empire se divise. C’est un monde sans réelles frontières et
lacéré. L’inconnu est partout. Pendant la vie d’Augustin, Wisigoths, Vandales et autres peuples de l’Ailleurs s’empareront de ce monde et de sa
légende. Dès 429, plus de 80000 Vandales, hommes, femmes et enfants,
passeront le détroit de Gibraltar et s’empareront de l’Afrique romaine.
L’Empire est débordé. Le monde devient autre et neuf. Le monde
devient vieux. Il agonise et accouche.
Dans ce monde ouvert et sans limites, dans ce monde ancien et
inconnu, les questions les plus urgentes seront : qui suis-je ? que faire
de ma vie ?
Augustin a vécu cette révolution sans précédent peut-être jusqu’à
nous : l’Empire que l’on croyait illimité est apparu petit, fragile.
L’Empire est mort en découvrant ses frontières (encore aujourd’hui, le
propre d’un empire est de faire croire qu’il n’a pas de frontières).
Augustin, sans le savoir vraiment, est passé de l’autre côté de ce
monde.
Le christianisme s’est imposé sur ce désenchantement-là. A pris la
place de cette illusion politique et religieuse. Tout empire désormais
aura des frontières. Aucun royaume ne sera plus immense que celui de
Dieu.
Les chrétiens affirment que leur dieu lui-même est immense. Traduction du magnus latin, que l’on préférera ici à grand. La jeune foi chrétienne fut longtemps moquée et puis s’est imposée dès le IVe siècle. Le
christianisme fait lentement imploser les traditions de la vieille Rome et
absorbe en les métamorphosant les modèles et les symboles de l’Empire
qui serviront à dire la puissance du nouveau dieu et de sa foi.
De persécuté, de moqué, le christianisme deviendra progressivement
persécuteur et moqueur (Augustin l’est souvent). La victoire chrétienne, dans ce monde ouvert à la concurrence spirituelle, n’apportera
pas vraiment la tolérance. Cette nouvelle foi ne supportera pas facilement la différence et le désaccord. Augustin lui-même incarne cette tension, lui qui s’est opposé violemment aux traditions anciennes, aux
sectes, aux hérésies.
Augustin est à la fois cet homme qui écrit : « Assis chez moi, je suis
facilement hypnotisé par un lézard qui gobe des mouches », et celui qui
n’hésite jamais à livrer un combat contre lui-même, ses propres
errances, ses propres erreurs, mais aussi, et parfois surtout, celles des
autres. Dominé par une tension intellectuelle presque excessive, il a
voulu répliquer avec acharnement au manichéen Faustus, évêque manichéen de Milev qui accusera les chrétiens de n’être qu’une secte
païenne (Augustin n’écrira pas moins de trente-trois livres contre lui
qu’il rejeta d’autant plus violemment qu’il s’était laissé séduire, comme
il le raconte ici dans ses aveux). Lutter contre les adversaires donatistesde l’Église africaine, répondre à Pélage et le faire condamner, répondre
à Julien d’Éclane…
D’ailleurs, on préfère souvent s’en tenir là. Raconter comme Augustin l’apologie d’Augustin le converti. On rappelle que sa nomination
comme évêque fut contestée par les donatistes de l’Église africaine, les
partisans de Donat qui se séparèrent de l’évêque catholique de Carthage à la suite des persécutions violentes de 303 et 305 contre les chrétiens. Les donatistes mirent en doute la conversion d’Augustin qui se
serait décidé à justifier et expliquer son rejet du manichéisme et son
adhésion au christianisme.
Mais les Aveux d’Augustin inaugurent un vaste scénario de crise et
de libération. Augustin entend construire le récit adéquat de sa nouvelle identité. Il n’a donc pas toujours été chrétien. Il se décrit lui-même
dans une quête affolante et mortifère de plaisirs et d’ambitions qui se
confond avec un désir de sagesse, un premier amour pour la sagesse. Il
s’intéressera à la numérologie, à l’astrologie, et à la puissante secte
manichéenne qu’il fréquentera plus ou moins assidûment pendant plus
de dix ans. Le manichéisme vient de Perse et s’est implanté dans le
monde romain en rival puissant de la foi chrétienne, notamment en
Afrique. De cette religion, il ne reste presque rien si ce n’est la violente
caricature qu’en a fait le christianisme d’Augustin. Ce « passé » manichéen ne lui sera jamais tout à fait pardonné par de nombreux éléments
de l’Église africaine. Sa conversion au
Weitere Kostenlose Bücher