Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
Hippone ne s’en remit jamais totalement. Rome était déjà
tombée depuis vingt ans, mise à sac par Alaric le Wisigoth.
Mais il s’agit moins du glas d’un monde ancien que de la fin d’une
représentation de l’autorité du monde, la fin d’une institution de la
vérité et du gouvernement des vivants.
On allait vivre autrement. On allait (se) penser autrement.
Augustin a vécu enfant dans un monde agricole, loin de Rome. Il a
connu la vie provinciale de cette petite ville d’Afrique, Thagaste, sur le
versant sud des monts de la Medjerda, et à plus de trois cents kilomètres de la mer. Forêts de pins. Oliveraies. Et le désert.
Enfant, Augustin n’a pas vu la mer. Mais il avait appris son existence.
Là-bas, disait-on, un homme travailleur pouvait avoir planté plus de
quatre mille arbres dans sa vie.
Que faire de sa vie est la question que se posent les enfants qui ne se
voient pas planter des arbres toute leur vie et rêvent de prendre la mer.
Que faire de sa vie est la question de tous ceux qui veulent quitter
l’enfance et ne voient pas que c’est l’enfance qui les a quittés.
L’enfance nous quitte mais ne va nulle part, note Augustin. Un jour,
dira-t-il, ces enfants devenus grands deviennent pour eux-mêmes « une
terre d’embarras, de suées terribles ».
Ils découvrent que la terre qu’ils pensaient avoir quittée un jour
c’était eux-mêmes.
Que faire de sa vie sera la grande question des enfants de cette Rome
africaine, cette Rome loin de Rome, de l’autre côté de la Méditerranée,
et issus de familles petites-bourgeoises intellectuelles, souvent de
couples mixtes comme les parents d’Augustin : une mère chrétienne et
dévote, un père fidèle aux traditions païennes ancestrales, au service de
l’Empire.
À rebours de la légende hagiographique de sa mère, Augustin est
d’abord et avant tout le fils de son père, Patricius. Il appartient à l’univers de ces familles provinciales, cultivées mais relativement modestes,
vivant dans l’Empire d’orient, loin de Rome, et qui au IVe siècle décidèrent de ne pas rompre avec la culture gréco-romaine mais au
contraire d’y fonder l’éducation de leurs fils. Le père d’Augustin paiera
à son fils des études coûteuses dans les centres universitaires et culturels importants de l’Afrique romaine : Madaure, Carthage. Mais Augustin donnera cruellement dans son récit la plus belle part à sa mère, chrétienne fidèle qui ne réussit à convertir son époux qu’une fois celui-ci sur
son lit de mort.
Augustin peut écrire de brèves phrases assassines sur son père, qui,
s’il ne s’est pas opposé à la foi de son épouse, semble n’avoir jamais été
bien compris de son fils.
La mort du père n’est mentionnée que par une banale et cruelle incidente, dans le troisième livre.
Le monde d’Augustin, c’est le monde en train de devenir chrétien. Ce
n’est pas encore le monde chrétien. Il est très important de dire
qu’Augustin n’écrit pas dans la langue latine chrétienne telle que l’Occident médiéval allait l’inventer. Il n’écrit pas tout à fait dans la langue de
sa réception, celle qui, d’une certaine façon, a fini par l’assimiler. Il participe certes à sa création. Mais il ne dispose pas encore, par exemple, de
la traduction latine de la Bible dont disposera le christianisme médiéval :
traduction unifiée en latin, réalisée par saint Jérôme au début du
Ve siècle (traduction contre laquelle Augustin émettra de sérieux
doutes). Il n’y a pas encore à son époque de traduction canonique des
textes saints. Mais une diversité de traductions grecques et latines des
textes hébreux. Et les différents livres de la Bible chrétienne n’étaient
pas encore tout à fait réunis sous leur forme actuelle et définitive. Augustin vit et pense dans un monde pluriel sous influence hellénistique, sous
domination romaine, mais également travaillé par de nombreuses
influences spirituelles et culturelles d’autres mondes (la Perse, l’Afrique,
les provinces barbares…). La culture d’Augustin est une culture classique latine telle qu’on l’enseignait et la diffusait dans les centres culturels de l’Empire et que fréquenta le jeune Augustin. L’écriture même des Aveux témoigne de la latinité d’Augustin, de son héritage gréco-romain
que, d’une certaine façon, nous avons souvent sous-estimé.
Depuis de nombreuses années déjà, Constantinople
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