Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
lisant
ceux d’Augustin, un livre « ruisselant de larmes ».
Augustin n’est pas le premier à raconter sa vie ni même le premier à
écrire ses aveux. Mais il est sûrement le premier à être capable d’exprimer le débordement de l’angoisse, cette horreur de soi et de l’existence
familière qui nous prend soudain à la gorge jusqu’à presque détruire
notre conscience de nous-mêmes quand nous sommes happés par le
désir de changer, d’être meilleur et de devenir autre.
Il est exceptionnel que le récit d’une vie connaisse ainsi le destin de
celui de ces treize livres d’Augustin. Sans doute parce qu’ils racontent
précisément le détournement d’une existence. D’où la méditation radicale sur le temps et la mémoire, aboutissement philosophique de
l’œuvre. Méditation de rupture avec le monde ancien. Le changement
de vie s’accompagne magnifiquement d’un bouleversement de la perception intime du temps lui-même, bouleversement rendu possible par
la conscience de l’intériorité des vastes champs de la mémoire.
« Je ne suis pas ma vie, écrit Augustin. Je vis mal de moi. »
L’aveu sera sa nouvelle vie. Le « vivre mal de soi » sera l’odyssée,
l’épreuve qu’il raconte pour dire sa vie, pour faire advenir sa vie en
récit. Par cette œuvre littéraire, il organise le rapt de sa propre existence. Peu importe au fond que la fiction soit vraie ou pas, ce que la littérature opère ici est un ravissement de soi par soi, un détournement
rendu possible par les formes de la justification, par la procédure littéraire, rhétorique et spirituelle d’une reconnaissance adressée à Dieu.
Les Aveux sont un livre héroïque, une sorte d’épopée nouvelle qui
entend rivaliser avec la littérature qui les a précédés, Homère ou Virgile. Un livre héroïque qui délivre en même temps un enseignement
neuf sur la vérité, une preuve irréfutable de l’action de Dieu sur l’existence des personnes et sur la Création.
La nouveauté tient au projet de se dire : le soi comme fiction adressée aux autres et à soi. Augustin a compris qu’aucune vie ne saurait se
dire d’elle-même à soi. Ni même pour soi. Une vie s’avoue à quelqu’un.
Une vie se raconte aux autres, à cause des autres.
Le nouveau dieu chrétien suscite l’appel, le récit, l’aveu, la confession
écrite de notre existence. C’est sa vraie nouveauté.
Augustin naît à Thagaste en 354 (la moderne Souk Ahras, en Algérie
près de la frontière tunisienne). Après sa conversion au christianisme,
l’été 386, son retour en Afrique et une vie communautaire instable jusqu’en 391 (période d’ otium , d’oisiveté par laquelle on se libère de toute
profession ou charge publique, et consacrée à la lecture et à la méditation,comme tant de Latins de la période classique), sa nomination comme
évêque d’Hippone en 396, il veut écrire son changement, sa propre transformation. Augustin tient à raconter comment sa vie a basculé l’été 386,
deux ans après être arrivé à Milan, dans une conversion sincère au christianisme. Il sera baptisé en 387, deviendra prêtre en 391 et évêque en
396 : parcours brillant qui suscitera, jusque dans l’Église africaine, des
jalousies et des soupçons. Augustin avait d’abord imaginé un autre parcours, tout aussi brillant, d’intellectuel et de clerc de l’Empire finissant.
Car Augustin est un intellectuel nord-africain de l’Empire romain. Il
vient donc de la périphérie de l’Empire. Peuples barbares. Paysages
frontaliers. Bords hostiles. On ne dit pas assez que ce Nord-Africain qui
s’est exilé de ses terres d’enfance a choisi d’y revenir et d’y fonder sa
propre conversion.
Augustin a connu d’autres peuples, d’autres personnes que les
Romains. Ce qui, déjà, disait la nouveauté de ce temps. « Nous devons
la paix aux serments échangés avec les barbares », dira-t-il. Il écrira aussi
dans sa Cité de Dieu que les sagesses barbares sont « plus proches de
nous » que ne le sont parfois les philosophies du monde grec et romain.
Augustin vient donc de la périphérie vivace d’un monde en crise et
n’aura de cesse de se rendre au cœur décomposé de l’Empire (Rome et
Milan). Une fois au cœur, il se décomposera lui-même. Et repartira en
Afrique, après sa conversion. Il mourra le 28 août 430 à Hippone, son
siège épiscopal, assiégée par les Vandales. Livrée aux pillages et à la destruction,
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