Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
pour me dire “Mon mari est mort et je n’ai jamais su ce qu’il faisait à Bletchley Park. Vous pouvez me le dire ?” Eh bien, je crains que non, à moins qu’il ait travaillé dans ma section. » Avec tout ce cloisonnement entre les baraquements, comment savoir ?
Et même après la révélation publique du secret de Bletchley en 1974, nombre des membres du personnel de Bletchley souffrirent d’un curieux effet secondaire psychologique. Bien que le livre de Winterbotham ait ouvert la porte à des publications en chaîne, un certain nombre de pensionnaires de Bletchley ne pouvaient même pas mentionner l’endroit, et donc encore moins leur rôle. Le culte du secret était très profondément ancré en eux. Un nombre important de personnes, comme Walter Eytan, estimaient qu’il était honteux que Winterbotham ait choisi de publier son livre. D’autres refusaient encore inébranlablement dans les années 1980 de divulguer le moindre élément, même à leurs proches.
Un pasteur, ancien cryptanalyste d’Écosse, continua de raconter à ses enfants qu’il avait passé la guerre à exercer son ministère religieux, même s’ils savaient pertinemment qu’il avait été ordonné après la guerre. Il ne parlait jamais de Bletchley. Il s’était fait un devoir de tenir sa promesse.
Walter Eytan garda le silence malgré la pression du mariage : « La sécurité était une seconde nature pour nous. Ma femme disait qu’il lui était difficile d’épouser un homme refusant de lui dire ce qu’il avait fait pendant la guerre. Je lui ai confié que j’avais passé le plus clair de la guerre dans un endroit appelé Bletchley, qui ne lui disait rien. »
D’autres étaient plus pragmatiques. « Je n’en ai jamais soufflé mot à personne, dit Jean Valentine. Ça ne s’est pas présenté parce qu’on n’en parlait pas. J’ai épousé un homme auquel je n’ai jamais demandé qu’il me révèle des secrets sur l’avion qu’il pilotait et il ne m’a jamais demandé ce que j’avais fait. » Un mari et sa femme ont fini, à la fin des années 1970, par se raconter mutuellement ce qu’ils avaient fait au Park, alors que le mari était en train de laver la voiture un dimanche après-midi.
Vient ensuite le cas extraordinaire de Mimi Gallilee. Elle, sa mère et sa sœur occupaient toutes les trois différentes fonctions à Bletchley. La mère était serveuse et donc plutôt moins secrète. Mais Mimi et sa sœur aînée, qui travaillait dans l’un des baraquements, n’ont jamais abordé le sujet après la guerre. Malheureusement, la sœur de Mimi est décédée à la fin des années 1960. À ce jour, Mimi n’a pas la moindre idée de ce que sa sœur faisait dans ce baraquement. Comme il n’existe aucune archive officielle, comment diable pourrait-elle le savoir ?
Il existe de nombreuses autres histoires poignantes, concernant essentiellement de jeunes individus qui, à l’instar de John Herivel, mouraient d’envie, dans la période d’après-guerre, de raconter leurs actions à leurs parents, mais aucun ne franchit le pas. Et ces parents moururent sans jamais le savoir. Certains trouvaient intolérable qu’il n’existe aucun document officiel, comme si ces années n’avaient tout simplement jamais existé. Sheila se souvient : « Je regrette que mon père soit décédé bien avant que je puisse révéler des choses. Il est mort en 1961. Ma mère nous a quittés beaucoup plus tard, mais à l’époque elle n’était pas très bien. Je regrette vraiment que mon père n’ait jamais rien su […] ça l’aurait vraiment intéressé. »
« Pareil pour mes parents, ajoute Oliver Lawn. Ils sont tous deux décédés dans les années 1960, sans jamais s’être montrés curieux. De nombreuses personnes étaient dans la même situation. Avec des proches qui auraient dû être mis au courant, mais auxquels on ne pouvait rien dire et qui ont ensuite disparu. »
Certains se demandent aujourd’hui pourquoi il a tout fallu garder ultrasecret pendant si longtemps après coup. Une raison très simple est que les techniques de chiffrement Enigma ou « Tunny » que Bletchley était parvenu à craquer étaient toujours employées dans d’autres pays, à l’autre bout du monde, y compris dans des régions reculées d’un Empire britannique en déclin avancé. Dans les premières années du régime communiste, l’Allemagne de l’Est utilisait toujours la même Enigma, situation pas seulement
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