Les chasseurs de mammouths
Il était furieux, elle le sentait, mais elle ne savait pas pourquoi.
L’homme prit les mains de Jondalar, les secoua fermement.
— Je suis Ranec, mon ami, le meilleur, et d’ailleurs le
seul, sculpteur du Camp du Lion des Mamutoï, dit-il avec un sourire qui se
moquait de lui-même. Si tu voyages avec une compagne aussi belle, tu dois t’attendre
à ce qu’elle attire l’attention.
Ce fut au tour de Jondalar de se sentir embarrassé. L’attitude
franche et amicale de Ranec lui donnait l’impression de se conduire comme un
rustre. Une souffrance familière ramena le souvenir de son frère. Thonolan, lui,
avait cette même assurance cordiale. Lorsqu’ils avaient fait des rencontres, au
cours de leur voyage, c’était toujours lui qui avait fait les premiers pas.
Jondalar avait toujours détesté se conduire sottement, et il lui déplaisait d’entamer
une relation nouvelle sur un malentendu. Il avait, pour le moins, fait preuve
de manque de courtoisie.
Mais la brutalité de sa colère l’avait pris au dépourvu. Le
brûlant coup de poignard de la jalousie lui était inconnu, ou du moins le
souvenir en était si lointain qu’il ne s’y attendait plus.
Pourquoi s’irritait-il de voir un inconnu admirer Ayla ? se
demandait-il. Ranec avait raison : elle était si belle qu’il aurait dû le
prévoir. Et elle était en droit de faire son propre choix. Il était le premier
homme de sa race qu’elle eût rencontré. Cela ne signifiait pas qu’il serait à
jamais le seul à l’attirer.
Ayla le vit sourire à Ranec mais elle remarqua que la tension,
dans la ligne de ses épaules, ne s’était pas atténuée.
— Ranec parle toujours à la légère de ses dons de sculpteur
mais il n’est pas homme à faire fi de ses autres talents, dit Talut.
Il montrait le chemin vers l’étrange habitation qui semblait
avoir poussé d’elle-même sur la berge de la rivière.
— Wymez et lui ont au moins ce point de ressemblance. Wymez
est aussi réticent sur son talent de façonneur d’outils que l’est le fils de
son foyer pour parler de ses sculptures. Parmi tous les Mamutoï, Ranec est le
meilleur sculpteur.
— Vous avez parmi vous un tailleur de pierre
expérimenté ? demanda Jondalar avec une joyeuse impatience.
Il oubliait cet éclair de brûlante jalousie à l’idée de
rencontrer un autre expert dans son propre métier.
— Oui, et c’est le meilleur, lui aussi. Le Camp du Lion est
renommé. Nous possédons le meilleur sculpteur, le meilleur façonneur d’outils
et le mamut le plus âgé, déclara l’Homme Qui Ordonne.
— Et aussi un Homme Qui Ordonne assez imposant pour être
approuvé par tous, de gré ou de force, ajouta Ranec, avec un sourire ironique.
Talut lui sourit en retour : il connaissait la propension
de Ranec à détourner les louanges par une plaisanterie. Ce qui n’empêchait d’ailleurs
pas Talut de se vanter : il était fier de son Camp et n’hésitait pas à le
faire savoir à la ronde.
Ayla observait la subtile relation entre les deux hommes :
l’un, le plus âgé, ce géant massif, au poil flamboyant, aux yeux d’un bleu
pâle, et l’autre, avec sa peau sombre, plus petit mais râblé. Ils étaient aussi
différents que possible l’un de l’autre, mais elle percevait le lien d’affection
et de loyauté profondes qui les unissait. Tous deux faisaient partie des
Chasseurs de Mammouths, tous deux étaient membres du Camp du Lion des Mamutoï.
Ils se dirigeaient vers le passage voûté qu’Ayla avait remarqué
plus tôt. Il semblait donner accès à un tertre – ou, peut-être, à une
série de tertres – intégré dans la pente qui faisait face à la large
rivière. Ayla avait vu des gens y entrer et en sortir. Il devait s’agir, elle
le savait, d’une caverne ou d’un gîte quelconque. Il semblait entièrement fait
de terre solidement tassée, et de l’herbe poussait par endroits à la surface,
surtout autour de la base et sur les côtés. L’ensemble se fondait si bien dans
le paysage que, à part l’entrée, il était difficile de le distinguer de ce qui
l’environnait.
En y regardant de plus près, elle distingua plusieurs objets
curieux posés sur le sommet arrondi de la butte. Il y en avait un, en
particulier, juste au-dessus de l’entrée. Elle retint son souffle.
C’était le crâne d’un lion des cavernes !
2
Blottie dans une minuscule crevasse d’une falaise abrupte, Ayla
regardait la patte griffue d’un énorme lion
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