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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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luisant. Le jeune moine distingua les deux tiges latérales qui
maintenaient ce gantelet meurtrier au poignet. Il crut apercevoir le sang qui
tachait les pointes acérées.
    L’écho de son souffle précipité s’engouffrait dans ses
oreilles, l’assourdissant. La main griffue se leva, peut-être en signe
d’apaisement. Le jeune moine pouvait observer chacun de ses plus infimes
mouvements, comme décomposés par un prisme. Le geste avait été rapide,
toutefois, la main semblait le reproduire, encore et encore. Il ferma les yeux
quelques fractions de secondes dans l’espoir de se débarrasser de ce mirage.
Des vertiges le déséquilibraient, et une soif terrible lui collait la langue au
palais.
    — Donne-moi la lettre. Tu vivras.
    D’où sortait cette voix de ténèbres ? Pas d’un être
humain.
    Le jeune moine tourna la tête, évaluant ses chances de
fuite. Là-bas, un peu plus loin, un épais rideau d’arbres et d’arbustes
ondulait dans le soleil couchant. Leurs troncs mouvants étaient si serrés que
le cheval ne pourrait s’y faufiler. Il fonça. Il courut comme un fou, manquant
s’affaler à deux reprises, se cramponnant aux branches basses afin de se
rétablir. Un halètement de plus en plus difficile montait de sa gorge en
ouragan. Il lutta contre l’envie de s’effondrer sur l’humus, de fondre en
larmes et d’attendre que son poursuivant le rejoigne. Une pie dérangée jacassa
un peu plus loin sur sa droite, et son cri désagréable cascada, heurtant avec
violence les tympans du jeune homme. Il courut. Encore quelques mètres. Plus
loin, un désordre de hautes ronces avait envahi une clairière, colonisant la
moindre parcelle d’espace libre. S’il parvenait à s’y cacher, peut-être l’autre
perdrait-il sa trace. Un bond le propulsa au milieu de cet enfer végétal.
    Il plaqua la main sur sa bouche pour étouffer le sanglot qui
l’étouffait. Son sang cognait contre sa gorge, dans ses oreilles, jusque sous
ses tempes.
    Là, ne plus bouger, ne faire aucun bruit, respirer à peine.
Les ronces lui meurtrissaient les bras et les jambes, s’accrochaient à son
visage. Il voyait leurs griffes recourbées ramper vers lui. Elles
frissonnaient, s’étiraient, se détendaient pour s’abattre avec férocité sur sa
chair. Elles s’enfonçaient, se retournaient sous sa peau afin d’assurer leur
prise.
    Il avait beau se répéter que les ronces ne sont pas animées,
de fait, elles bougeaient.
    La nuit tombait, une nuit pourpre. Même les arbres
devenaient pourpres. L’herbe, la mousse plus loin, les ronces, la brume qui se
levait, tout se teintait de pourpre.
    Une douleur effroyable lui vrillait les membres, un brasier
qui l’aurait consumé sans flammes.
    Un bruit imperceptible. Un bruit comme un maelström. Si
seulement il pouvait plaquer les mains sur les oreilles pour atténuer la
clameur qui s’engouffrait dans son cerveau. Mais non, les ronces le
cramponnaient avec une méchanceté renouvelée. Un bruit de sabot qui approchait.
    La lettre. Il ne fallait pas qu’elle soit découverte. Il
avait juré de la protéger de sa vie.
    Il voulut prier mais buta sur les mots de sa supplique. Ils
revenaient, toujours les mêmes, comme une incompréhensible litanie. Il crispa
les mâchoires et tira d’un coup sec son bras droit, le libérant des épines qui
le crucifiaient. Il sentit distinctement sa peau céder sous l’obstination des
griffes végétales. Sa main avait noirci jusqu’au poignet. Ses doigts
renâclaient, si gourds soudain qu’il avait peine à leur ordonner de se faufiler
sous son manteau, de saisir la feuille.
    La missive était brève. Les sabots se rapprochaient. Les
sabots seraient sur lui dans quelques secondes. Il déchira le court morceau de
papier et fourra ses lambeaux dans sa bouche, mâchant avec l’énergie du
désespoir afin d’avaler les mots tracés avant que les sabots n’apparaissent. Il
sembla au jeune moine que les quelques phrases magnifiques lui déchiraient
l’œsophage, lorsqu’il parvint enfin à déglutir, lorsque la boule de papier
trempée de salive disparut à l’intérieur de lui-même.
    Plaqué contre l’humus dévoré de mûriers sauvages, il ne vit
d’abord que les antérieurs du cheval noir. Il lui sembla pourtant qu’ils se
dédoublaient. Il y avait soudain quatre, six, huit jambes animales.
    Il tenta de bloquer sa respiration si bruyante que l’on
devait l’entendre dans toute la forêt.
    — La lettre. Donne-moi la

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