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Les chevaliers du royaume

Les chevaliers du royaume

Titel: Les chevaliers du royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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l’amusement, mais ce que ressentait Saladin était plus proche de la tristesse : il ne voyait pas, cet homme-là, que son Dieu l’avait abandonné (car il n’est d’autre Dieu qu’Allah) ; il ne voyait pas que bientôt tous les Franjis seraient chassés de Terre sainte, passés par le fil de l’épée ou vendus comme esclaves. Cet homme était aveugle. Tout comme étaient aveugles ceux qui l’accompagnaient et se trouvaient ici parce qu’ils étaient des captifs de marque, dont les familles auraient à payer une forte rançon si elles voulaient les revoir : le connétable Amaury de Lusignan, frère du roi de Jérusalem ; Gérard de Ridefort, maître de l’ordre du Temple ; le vieux marquis Guillaume III de Montferrat, au bras aussi vaillant que du temps où il avait accompagné le roi Louis VII à Damas ; Onfroi IV de Toron, lâche comme une hyène en dépit d’un sang noble ; quelques petits seigneurs, comme ceux du Djebaïl ou du Boutron ; et l’un des êtres les plus vils qui fussent : Renaud de Châtillon, prince d’Antioche, seigneur de Transjordanie. Les Sarrasins l’appelaient « Brins Arnat », et le haïssaient parce qu’il pillait, malgré les trêves, les caravanes de pèlerins en partance pour La Mecque.
    On avait retiré armes et armures aux prisonniers, maintenant revêtus d’une simple robe de tissu grège qui leur donnait l’allure de miséreux au sortir du lit. Hormis Renaud de Châtillon, tous tremblaient de peur à l’idée d’être livrés en pâture aux panthères de Saladin, qu’un mamelouk au visage anguleux promenait d’un air nonchalant. De temps à autre, un feulement se faisait entendre : un adolescent s’amusait à chatouiller le museau de l’un des félins avec une plume d’autruche. La bête ouvrait alors la gueule en grognant, donnait un violent coup de griffe, et tirait sur sa chaîne en direction de l’audacieux. Le mamelouk ramenait la bête en arrière ; la laisse cliquetait, et l’animal se calmait. Le gamin, lui, riait aux éclats, puis reprenait son jeu.
    — N’ayez crainte, dit Saladin à ses invités. Ces panthères ne lui feront aucun mal. Elles le connaissent bien, et le laissent s’amuser un peu. En fait, je les réserve aux éventuels Assassins (la peste soit sur eux, et sur leur chef, Rachideddin Sinan !) qui seraient assez fous, ou drogués, pour oser s’aventurer sous ma tente…
    Il s’approcha de la plus grande des deux panthères et lui caressa la tête, entre les oreilles. La panthère ronronna de plaisir et se laissa bientôt couler à terre, où elle se mit sur le dos, montrant son ventre lisse et noir à son maître.
    — Comme vous le voyez, elles sont très affectueuses. La première, qui s’approche du plus jeune de mes fils (Dieu le garde, c’est la prunelle de mes yeux !), s’appelle Schéhérazade. Elle était grosse de sa fille quand on me l’a offerte, et j’ai voulu la rendre au désert. Mais, comme l’héroïne dont elle porte le nom, elle a su se montrer si charmante que je n’ai su m’y résoudre. La seconde est la fille. Je l’ai nommée Majnoun, qui est le nom que l’on donne aux personnes possédées par le démon. Car, si le jour elle est pareille à sa mère, gracieuse et docile, allez savoir ce qui se passe à la nuit tombée : elle se transforme en un animal redoutable, et nul, à part moi, ne peut l’approcher. Ces deux panthères sont les seuls êtres autorisés à demeurer dans ma chambre quand je me couche.
    Dans l’air montait un épais silence, qui s’ajoutait aux volutes de fumée s’exhalant de cassolettes où se consumaient des épices. L’atmosphère devenait de plus en plus pesante. Mal à l’aise, les Francs feignaient de s’absorber dans la contemplation d’un brûle-parfum ou d’un tapis de laine. La tente était immense et abritait une soixantaine de personnes, dont la majorité se tenaient dans l’ombre. Seuls leurs toussotements, rires feutrés et conversations à voix basse signalaient leur présence. En fait, les Francs ne parvenaient à distinguer qu’une vingtaine d’individus : émirs aux luxueux vêtements de soie, muqaddams en cotte de mailles et bliaut de drap noir maculé du sang des combats, mamelouks de la Jandâriyya, à la tunique jaune safran, en charge de la protection rapprochée de Saladin… Tous dévisageaient les prisonniers, se régalant de voir leurs traits retaillés par la peur. Ce spectacle faisait peine à voir, mais Saladin le

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