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Les chevaliers du royaume

Les chevaliers du royaume

Titel: Les chevaliers du royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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ordonna-t-il à ses mamelouks.
    À nouveau, il y eut un instant de silence. Saladin fit traîner Brins Arnat par les pieds devant Guy de Lusignan. Aussitôt, le roi de Jérusalem fut pris d’une violente quinte de toux, recracha quelque chose dans sa main et s’excusa : « Une pistache était restée coincée… »
    — Rassurez-vous, dit Saladin, un roi ne tue pas un autre roi. Mais cet homme-là est si perfide que cela dépasse la mesure. Quant à toi, Brins Arnat, considère que ce n’est pas moi qui te punis, mais Allah.
    Les deux hommes s’affrontèrent du regard et en un éclair Châtillon comprit l’allusion. Quelques années plus tôt, il avait attaqué une caravane de pèlerins en route pour La Mecque, et à ceux qui avaient imploré sa pitié il avait répondu : « Demandez plutôt à votre Dieu de vous sauver », avant de les massacrer.
    Saladin, en noble Restaurateur de la Justice sur Terre, s’était juré de les venger.
    Soudain, une puanteur stupéfiante se répandit sous la tente : trois hommes venaient d’entrer. Entièrement vêtus de blanc, ils offraient un puissant contraste avec Saladin et son état-major, tous habillés de noir, et les mamelouks – à la tenue jaune safran brodée d’or. Ils sentaient si fort que les Francs se pincèrent le nez, tandis que les Mahométans s’efforçaient de faire bonne figure. Quelques esclaves à la peau mate s’empressèrent de doubler le nombre de brûle-parfum, et les bourrèrent de myrrhe et de cardamome.
    — Pourquoi ce retard ? demanda Saladin, soulagé de les voir arriver.
    — La tête était récalcitrante…, répondit laconiquement l’un des hommes.
    Il avait dans la voix de bizarres stridulations d’insectes, qui intimèrent aux occupants de la tente le plus profond silence. Le plus curieux de tout était ses yeux, blancs eux aussi, car démunis de pupilles.
    Puis il montra à Saladin une cassette de forme pyramidale, ornée sur ses faces de versets en relief du Coran. Apparemment, le coffret se déverrouillait en basculant l’une des inscriptions vers l’extérieur. Ce que l’homme en blanc fit. La cassette s’ouvrit, dévoilant le visage de Rufinus.
    L’évêque d’Acre adressait aux convives de Saladin un sourire béat, comme si la folie qui l’avait gagné vers la fin du combat ne l’avait plus quitté, marquant ses traits à tout jamais. Ses yeux étaient fermés, de même que sa bouche – dont les lèvres étaient colorées de rouge, ce qui renforçait la pâleur de ses joues. Les Francs remarquèrent alors que l’homme qui tenait le céphalotaphe était aveugle.
    — Comment avez-vous fait ? interrogea Saladin en regardant à la fois la boîte et la tête qui s’y trouvait, stupéfait que, malgré sa taille, le crâne de Rufinus y fût entré.
    — Est-ce une illusion d’optique ? Un tour de magie ? demanda al-Afdal, le plus jeune fils de Saladin.
    En fait, il avait par moments l’impression de voir les contours du visage de Rufinus se superposer à ceux du céphalotaphe.
    — C’est un mystère que je ne suis pas autorisé à te révéler, répondit sur un ton énigmatique le porteur du coffret, un mystique réputé, nommé Sohrawardi. À moins que Saladin, ton père (la grâce soit sur lui !), Soleil des Mérites, sultan d’Égypte, de Syrie, du Yémen et de Nubie, ne me l’ordonne, évidemment…
    — Garde tes secrets, fit Saladin en écartant la main de son fils du coffret. À chacun ses affaires. À moi celles des hommes, et tout ce qui se tient à la surface du monde ; à toi celles des démons, et tout ce qui vit et respire sous terre.
    Sohrawardi inclina légèrement la tête. Ses cheveux, élégamment peignés, tombaient en neige fine sur ses épaules, et sa barbe, longue et pommadée, blanche également, pendait au-dessus du coffret.
    — Merci, Ornement de la Nation. Je salue ta sagesse, et acclame ta grandeur d’âme.
    — Ta clairvoyance m’honore, répliqua Saladin.
    Sohrawardi eut un large sourire, qui découvrit une bouche aux dents gâtées, dont la moitié manquait. Il eut un petit hochement de tête entendu. Ni Saladin ni lui n’étaient dupes.
    En effet, contrairement à Saladin, qui était sunnite, Sohrawardi était d’obédience chiite. Il était persuadé que le Coran avait un sens caché, et travaillait à le découvrir. Il prétendait révérer les véritables imams – au premier rang desquels Ali, le gendre de Mahomet –, écartés de la succession du

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