Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
Vom Netzwerk:
Quand j'allai me montrer sortant de ma
chambre, j'avais l'air d'un déterré, et, suivant le même train, je
n'aurais pas resté déterré longtemps. On conviendra qu'il est
difficile, et surtout dans l'ardeur de la jeunesse, qu'une pareille
tête laisse toujours le corps en santé.
    L'altération de la mienne agit sur mon humeur et tempéra
l'ardeur de mes fantaisies. Me sentant affaiblir, je devins plus
tranquille, et perdis un peu la fureur des voyages. Plus
sédentaire, je fus pris, non de l'ennui, mais de la mélancolie; les
vapeurs succédèrent aux passions; ma langueur devint tristesse; je
pleurais et soupirais à propos de rien; je sentais la vie
m'échapper sans l'avoir goûtée; je gémissais sur l'état où je
laissais ma pauvre maman, sur celui où je la voyais prête à tomber;
je puis dire que la quitter et la laisser à plaindre était mon
unique regret. Enfin je tombai tout à fait malade. Elle me soigna
comme jamais mère n'a soigné son enfant; et cela lui fit du bien à
elle-même, en faisant diversion aux projets et tenant écartés les
projeteurs. Quelle douce mort, si alors elle fût venue! Si j'avais
peu goûté les biens de la vie, j'en avais peu senti les malheurs.
Mon âme paisible pouvait partir sans le sentiment cruel de
l'injustice des hommes, qui empoisonne la vie et la mort. J'avais
la consolation de me survivre dans la meilleure moitié de moi-même;
c'était à peine mourir. Sans les inquiétudes que j'avais sur son
sort, je serais mort comme j'aurais pu m'endormir, et ces
inquiétudes mêmes avaient un objet affectueux et tendre qui en
tempérait l'amertume. Je lui disais: Vous voilà dépositaire de tout
mon être; faites en sorte qu'il soit heureux. Deux ou trois fois,
quand j'étais le plus mal, il m'arriva de me lever dans la nuit et
de me traîner à sa chambre, pour lui donner, sur sa conduite, des
conseils, j'ose dire pleins de justesse et de sens, mais où
l'intérêt que je prenais à son sort se marquait mieux que toute
autre chose. Comme si les pleurs étaient ma nourriture et mon
remède, je me fortifiais de ceux que je versais auprès d'elle, avec
elle, assis sur son lit, et tenant ses mains dans les miennes. Les
heures coulaient dans ces entretiens nocturnes, et je m'en
retournais en meilleur état que je n'étais venu: content et calme
dans les promesses qu'elle m'avait faites, dans les espérances
qu'elle m'avait données, je m'endormais là-dessus avec la paix du
cœur et la résignation à la Providence. Plaise à Dieu qu'après tant
de sujets de haïr la vie, après tant d'orages qui ont agité la
mienne et qui ne m'en font plus qu'un fardeau, la mort qui doit la
terminer me soit aussi peu cruelle qu'elle me l'eût été dans ce
moment-là!
    A force de soins, de vigilance et d'incroyables peines, elle me
sauva; et il est certain qu'elle seule pouvait me sauver. J'ai peu
de foi à la médecine des médecins, mais j'en ai beaucoup à celle
des vrais amis; les choses dont notre bonheur dépend se font
toujours beaucoup mieux que toutes les autres. S'il y a dans la vie
un sentiment délicieux, c'est celui que nous éprouvâmes d'être
rendus l'un à l'autre. Notre attachement mutuel n'en augmenta pas,
cela n'était pas possible; mais il prit je ne sais quoi de plus
intime, de plus touchant dans sa grande simplicité. Je devenais
tout à fait son œuvre, tout à fait son enfant, et plus que si elle
eût été ma vraie mère. Nous commençâmes, sans y songer, à ne plus
nous séparer l'un de l'autre, à mettre en quelque sorte toute notre
existence en commun; et, sentant que réciproquement nous nous
étions non seulement nécessaires, mais suffisants, nous nous
accoutumâmes à ne plus penser à rien d'étranger à nous, à borner
absolument notre bonheur et tous nos désirs à cette possession
mutuelle et peut-être unique parmi les humains, qui n'était point,
comme je l'ai dit, celle de l'amour, mais une possession plus
essentielle, qui, sans tenir aux sens, au sexe, à l'âge, à la
figure, tenait à tout ce par quoi l'on est soi, et qu'on ne peut
perdre qu'en cessant d'être.
    A quoi tint-il que cette précieuse crise n'amenât le bonheur du
reste de ses jours et des miens? Ce ne fut pas à moi, je m'en rends
le consolant témoignage. Ce ne fut pas non plus à elle, du moins à
sa volonté. Il était écrit que bientôt l'invincible naturel
reprendrait son empire. Mais ce fatal retour ne se fit pas tout
d'un coup. Il y eut, grâce au ciel, un intervalle, court

Weitere Kostenlose Bücher