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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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car elle m'aimait:
elle m'en donna mille preuves plus sûres que des faveurs. Elle
jugea par mon équipage que je ne nageais pas dans l'opulence;
quoiqu'elle ne fût pas riche elle-même, elle voulut à notre
séparation me forcer de partager sa bourse, qu'elle apportait de
Grenoble assez bien garnie, et j'eus beaucoup de peine à m'en
défendre. Enfin, je la quittai le cœur tout plein d'elle, en lui
laissant, ce me semble, un véritable attachement pour moi.
    J'achevais ma route en la recommençant dans mes souvenirs, et
pour le coup très content d'être dans une bonne chaise pour y rêver
plus à mon aise aux plaisirs que j'avais goûtés et à ceux qui
m'étaient promis. Je ne pensais qu'au bourg Saint-Andiol et à la
charmante vie qui m'y attendait; je ne voyais que madame de Larnage
et ses entours: tout le reste de l'univers n'était rien pour moi,
maman même était oubliée. Je m'occupais à combiner dans ma tête
tous les détails dans lesquels madame de Larnage était entrée, pour
me faire d'avance une idée de sa demeure, de son voisinage, de ses
sociétés, de toute sa manière de vivre. Elle avait une fille dont
elle m'avait parlé très souvent en mère idolâtre. Cette fille avait
quinze ans passés; elle était vive, charmante et d'un caractère
aimable. On m'avait promis que j'en serais caressé: je n'avais pas
oublié cette promesse, et j'étais fort curieux d'imaginer comment
mademoiselle de Larnage traiterait le bon ami de sa maman. Tels
furent les sujets de mes rêveries depuis le Pont-Saint-Esprit
jusqu'à Remoulin. On m'avait dit d'aller voir le pont du Gard; je
n'y manquai pas. Après un déjeuner d'excellentes figues, je pris un
guide, et j'allai voir le pont du Gard. C'était le premier ouvrage
des Romains que j'eusse vu. Je m'attendais à voir un monument digne
des mains qui l'avaient construit. Pour le coup l'objet passa mon
attente, et ce fut la seule fois en ma vie. Il n'appartenait qu'aux
Romains de produire cet effet. L'aspect de ce simple et noble
ouvrage me frappa d'autant plus qu'il est au milieu d'un désert où
le silence et la solitude rendent l'objet plus frappant et
l'admiration plus vive, car ce prétendu pont n'était qu'un aqueduc.
On se demande quelle force a transporté ces pierres énormes si loin
de toute carrière, et a réuni les bras de tant de milliers d'hommes
dans un lieu où il n'en habite aucun. Je parcourus les trois étages
de ce superbe édifice, que le respect m'empêchait presque d'oser
fouler sous mes pieds. Le retentissement de mes pas sous ces
immenses voûtes me faisait croire entendre la forte voix de ceux
qui les avaient bâties. Je me perdais comme un insecte dans cette
immensité. Je sentais, tout en me faisant petit, je ne sais quoi
qui m'élevait l'âme; et je me disais en soupirant: Que ne suis-je
né Romain! Je restai là plusieurs heures dans une contemplation
ravissante. Je m'en revins distrait et rêveur, et cette rêverie ne
fut pas favorable à madame de Larnage. Elle avait bien songé à me
prémunir contre les filles de Montpellier, mais non pas contre le
pont du Gard. On ne s'avise jamais de tout.
    A Nîmes, j'allai voir les Arènes: c'est un ouvrage beaucoup plus
magnifique que le pont du Gard, et qui me fit beaucoup moins
d'impression, soit que mon admiration se fût épuisée sur le premier
objet, soit que la situation de l'autre au milieu d'une ville fût
moins propre à l'exciter. Ce vaste et superbe cirque est entouré de
vilaines petites maisons, et d'autres maisons plus petites et plus
vilaines encore en remplissent l'arène; de sorte que le tout ne
produit qu'un effet disparate et confus, où le regret et
l'indignation étouffent le plaisir et la surprise. J'ai vu depuis
le cirque de Vérone, infiniment plus petit et moins beau que celui
de Nîmes, mais entretenu et conservé avec toute la décence et la
propreté possibles, et qui par cela même me fit une impression plus
forte et plus agréable. Les Français n'ont soin de rien et ne
respectent aucun monument. Ils sont tout feu pour entreprendre, et
ne savent rien finir ni rien entretenir.
    J'étais changé à tel point, et ma sensualité mise en exercice
s'était si bien éveillée, que je m'arrêtai un jour au pont de Lunel
pour y faire bonne chère avec de la compagnie qui s'y trouva. Ce
cabaret, le plus estimé de l'Europe, méritait alors de l'être. Ceux
qui le tenaient avaient su tirer parti de son heureuse situation
pour le tenir abondamment approvisionné et avec

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