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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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messieurs ne connaissaient rien à mon
mal; donc je n'étais pas malade: car comment supposer que des
docteurs ne sussent pas tout? Je vis qu'ils ne cherchaient qu'à
m'amuser et me faire manger mon argent; et jugeant que leur
substitut du bourg Saint-Andiol ferait cela tout aussi bien qu'eux,
mais plus agréablement, je résolus de lui donner la préférence, et
je quittai Montpellier dans cette sage intention.
    Je partis vers la fin de novembre, après six semaines ou deux
mois de séjour dans cette ville, où je laissai une douzaine de
louis sans aucun profit pour ma santé ni pour mon instruction, si
ce n'est un cours d'anatomie commencé sous M. Fitz-Moris, et que je
fus obligé d'abandonner par l'horrible puanteur des cadavres qu'on
disséquait, et qu'il me fut impossible de supporter.
    Mal à mon aise au dedans de moi sur la résolution que j'avais
prise, j'y réfléchissais en m'avançant toujours vers le
Pont-Saint-Esprit, qui était également la route du bourg
Saint-Andiol et de Chambéri. Les souvenirs de maman, et ses
lettres, quoique moins fréquentes que celles de madame de Larnage,
réveillaient dans mon cœur des remords que j'avais étouffés durant
ma première route. Ils devinrent si vifs au retour, que, balançant
l'amour du plaisir, ils me mirent en état d'écouter la raison
seule. D'abord, dans le rôle d'aventurier que j'allais recommencer,
je pouvais être moins heureux que la première fois; il ne fallait,
dans tout le bourg Saint-Andiol, qu'une seule personne qui eût été
en Angleterre, qui connût les Anglais, ou qui sût leur langue, pour
me démasquer. La famille de madame de Larnage pouvait se prendre de
mauvaise humeur contre moi, et me traiter peu honnêtement. Sa
fille, à laquelle malgré moi je pensais plus qu'il n'eût fallu,
m'inquiétait encore: je tremblais d'en devenir amoureux, et cette
peur faisait déjà la moitié de l'ouvrage. Allais-je donc, pour prix
des bontés de la mère, chercher à corrompre sa fille, à lier le
plus détestable commerce, à mettre la dissension, le déshonneur, le
scandale et l'enfer dans sa maison? Cette idée me fit horreur: je
pris bien la ferme résolution de me combattre et de me vaincre, si
ce malheureux penchant venait à se déclarer. Mais pourquoi
m'exposer à ce combat? Quel misérable état de vivre avec la mère
dont je serais rassasié, et de brûler pour la fille sans oser lui
montrer mon cœur! Quelle nécessité d'aller chercher cet état, et
m'exposer aux malheurs, aux affronts, aux remords, pour des
plaisirs dont j'avais d'avance épuisé le plus grand charme? car il
est certain que ma fantaisie avait perdu sa première vivacité. Le
goût du plaisir y était encore, mais la passion n'y était plus. A
cela se mêlaient des réflexions relatives à ma situation, à mes
devoirs, à cette maman si bonne, si généreuse, qui déjà chargée de
dettes l'était encore de mes folles dépenses, qui s'épuisait pour
moi, et que je trompais si indignement. Ce reproche devint si vif,
qu'il l'emporta à la fin. En approchant du Saint-Esprit, je pris la
résolution de brûler l'étape du bourg Saint-Andiol, et de passer
tout droit. Je l'exécutai courageusement, avec quelques soupirs, je
l'avoue, mais aussi avec cette satisfaction intérieure, que je
goûtais pour la première fois de ma vie, de me dire: Je mérite ma
propre estime, je sais préférer mon devoir à mon plaisir. Voilà la
première obligation véritable que j'aie à l'étude: c'était elle qui
m'avait appris à réfléchir, à comparer. Après les principes si purs
que j'avais adoptés il y avait peu de temps, après les règles de
sagesse et de vertu que je m'étais faites et que je m'étais senti
si fier de suivre, la honte d'être si peu conséquent à moi-même, de
démentir si tôt et si haut mes propres maximes, l'emporta sur la
volupté. L'orgueil eut peut-être autant de part à ma résolution que
la vertu; mais si cet orgueil n'est pas la vertu même, il a des
effets si semblables qu'il est pardonnable de s'y tromper.
    L'un des avantages des bonnes actions est d'élever l'âme, et de
la disposer à en faire de meilleures: car telle est la faiblesse
humaine, qu'on doit mettre au nombre des bonnes actions
l'abstinence du mal qu'on est tenté de commettre. Sitôt que j'eus
pris ma résolution je devins un autre homme, ou plutôt je redevins
ce que j'étais auparavant, et que ce moment d'ivresse avait fait
disparaître. Plein de bons sentiments et de bonnes

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