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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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à vous y suivre en habit de cérémonie,
et à l'honneur d'y dîner avec vous au palais de Saint-Marc; et je
ne vois pas pourquoi un homme qui peut et doit manger en public
avec le doge et le sénat de Venise, ne pourrait pas manger en
particulier avec M. le duc de Modène. Quoique l'argument fût sans
réplique, l'ambassadeur ne s'y rendit point: mais nous n'eûmes pas
occasion de renouveler la dispute, M. le duc de Modène n'étant
point venu dîner chez lui.
    Dès lors il ne cessa de me donner des désagréments, de me faire
des passe-droits, s'efforçant de m'ôter les petites prérogatives
attachées à mon poste, pour les transmettre à son cher Vitali; et
je suis sûr que s'il eût osé l'envoyer au sénat à ma place, il
l'aurait fait. Il employait ordinairement l'abbé de Binis pour
écrire dans son cabinet ses lettres particulières: il se servit de
lui pour écrire à M. de Maurepas une relation de l'affaire du
capitaine Olivet, dans laquelle, loin de lui faire aucune mention
de moi qui seul m'en étais mêlé, il m'ôtait même l'honneur du
verbal, dont il lui envoyait un double, pour l'attribuer à Patizel,
qui n'avait pas dit un seul mot. Il voulait me mortifier et
complaire à son favori, mais non pas se défaire de moi. Il sentait
qu'il ne lui serait plus aussi aisé de me trouver un successeur
qu'à M. Follau, qui l'avait déjà fait connaître. Il lui fallait
absolument un secrétaire qui sût l'italien, à cause des réponses du
sénat; qui fit toutes ses dépêches, toutes ses affaires sans qu'il
se mêlât de rien; qui joignît au mérite de bien servir la bassesse
d'être le complaisant de messieurs ses faquins de gentilshommes. Il
voulait donc me garder et me mater en me tenant loin de mon pays et
du sien, sans argent pour y retourner; et il aurait réussi
peut-être, s'il s'y fût pris modérément. Mais Vitali, qui avait
d'autres vues et qui voulait me forcer de prendre mon parti, en
vint à bout. Dès que je vis que je perdais toutes mes peines, que
l'ambassadeur me faisait des crimes de mes services au lieu de m'en
savoir gré, que je n'avais plus à espérer chez lui que désagréments
au dedans, injustice au dehors, et que, dans le décri général où il
s'était mis, ses mauvais offices pouvaient me nuire sans que les
bons pussent me servir, je pris mon parti et lui demandai mon
congé, lui laissant le temps de se pourvoir d'un secrétaire. Sans
me dire ni oui ni non, il alla toujours son train. Voyant que rien
n'allait mieux et qu'il ne se mettait en devoir de chercher
personne, j'écrivis à son frère, et, lui détaillant mes motifs, je
le priai d'obtenir mon congé de Son Excellence, ajoutant que de
manière ou d'autre il m'était impossible de rester. J'attendis
longtemps, et n'eus point de réponse. Je commençais d'être fort
embarrassé; mais l'ambassadeur reçut enfin une lettre de son frère.
Il fallait qu'elle fût vive, car, quoiqu'il fût sujet à des
emportements très féroces, je ne lui en vis jamais un pareil. Après
des torrents d'injures abominables, ne sachant plus que dire, il
m'accusa d'avoir vendu ses chiffres. Je me mis à rire, et lui
demandai d'un ton moqueur s'il croyait qu'il y eût dans tout Venise
un homme assez sot pour en donner un écu. Cette réponse le fit
écumer de rage. Il fit mine d'appeler ses gens pour me faire,
dit-il, jeter par la fenêtre. Jusque-là j'avais été fort
tranquille; mais à cette menace, la colère et l'indignation me
transportèrent à mon tour. Je m'élançai vers la porte, et après
avoir tiré le bouton qui la fermait en dedans: Non pas, monsieur le
comte, lui dis-je en revenant à lui d'un pas grave, vos gens ne se
mêleront pas de cette affaire; trouvez bon qu'elle se passe entre
nous. Mon action, mon air le calmèrent à l'instant même; la
surprise et l'effroi se marquèrent dans son maintien. Quand je le
vis revenu de sa furie, je lui fis mes adieux en peu de mots; puis,
sans attendre sa réponse, j'allai rouvrir la porte, je sortis, et
passai posément dans l'antichambre au milieu de ses gens, qui se
levèrent à l'ordinaire, et qui, je crois, m'auraient plutôt prêté
main-forte contre lui, qu'à lui contre moi. Sans remonter chez moi,
je descendis l'escalier tout de suite, et sortis sur-le-champ du
palais pour n'y plus rentrer.
    J'allai droit chez M. le Blond lui conter l'aventure. Il en fut
peu surpris; il connaissait l'homme. Il me retint à dîner. Ce
dîner, quoique impromptu, fut brillant; tous les Français

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