Les Confessions
de leurs coups. Une seule de ses nièces, appelée
Gothon Leduc, était assez aimable et d'un caractère assez doux,
quoique gâtée par l'exemple et les leçons des autres. Comme je les
voyais souvent ensemble, je leur donnais les noms qu'elles
s'entre-donnaient; j'appelais la nièce ma nièce, et la tante ma
tante. Toutes deux m'appelaient leur oncle. De là le nom de tante
duquel j'ai continué d'appeler Thérèse, et que mes amis répétaient
quelquefois en plaisantant.
On sent que, dans une pareille situation, je n'avais pas un
moment à perdre pour tâcher de m'en tirer. Jugeant que M. de
Richelieu m'avait oublié, et n'espérant plus rien du côté de la
cour, je fis quelques tentatives pour faire passer à Paris mon
opéra: mais j'éprouvai des difficultés qui demandaient bien du
temps pour les vaincre, et j'étais de jour en jour plus pressé. Je
m'avisai de présenter ma petite comédie de Narcisse aux Italiens.
Elle y fut reçue, et j'eus les entrées, qui me firent grand
plaisir: mais ce fut tout. Je ne pus jamais parvenir à faire jouer
ma pièce; et, ennuyé de faire ma cour à des comédiens, je les
plantai là. Je revins enfin au dernier expédient qui me restait, et
le seul que j'aurais dû prendre. En fréquentant la maison de M. de
la Poplinière je m'étais éloigné de celle de M. Dupin. Les deux
dames, quoique parentes, étaient mal ensemble et ne se voyaient
point; il n'y avait aucune société entre les deux maisons, et
Thieriot seul vivait dans l'une et dans l'autre. Il fut chargé de
tâcher de me ramener chez M. Dupin. M. de Francueil suivait alors
l'histoire naturelle et la chimie, et faisait un cabinet. Je crois
qu'il aspirait à l'Académie des sciences; il voulait pour cela
faire un livre, et il jugeait que je pouvais lui être utile dans ce
travail. Madame Dupin, qui de son côté méditait un autre livre,
avait sur moi des vues à peu près semblables. Ils auraient voulu
m'avoir en commun pour une espèce de secrétaire, et c'était là
l'objet des semonces de Thieriot. J'exigeais préalablement que M.
de Francueil emploierait son crédit avec celui de Jelyotte pour
faire répéter mon ouvrage à l'Opéra. Il y consentit. Les Muses
galantes furent répétées d'abord plusieurs fois au magasin, puis au
grand théâtre. Il y avait beaucoup de monde à la grande répétition,
et plusieurs morceaux furent très applaudis. Cependant je sentis
moi-même durant l'exécution, fort mal conduite par Rebel, que la
pièce ne passerait pas, et même qu'elle n'était pas en état de
paraître sans de grandes corrections. Ainsi je la retirai sans mot
dire, et sans m'exposer au refus; mais je vis clairement par
plusieurs indices que l'ouvrage, eût-il été parfait, n'aurait pas
passé. M. de Francueil m'avait bien promis de le faire répéter,
mais non pas de le faire recevoir. Il me tint exactement parole.
J'ai toujours cru voir, dans cette occasion et dans beaucoup
d'autres, que ni lui ni madame Dupin ne se souciaient de me laisser
acquérir une certaine réputation dans le monde, de peur peut-être
qu'on en supposât, en voyant leurs livres, qu'ils avaient greffé
leurs talents sur les miens. Cependant, comme madame Dupin m'en a
toujours supposé de très médiocres, et qu'elle ne m'a jamais
employé qu'à écrire sous sa dictée, ou à des recherches de pure
érudition, ce reproche, surtout à son égard, eût été bien
injuste.
Ce dernier mauvais succès acheva de me décourager. J'abandonnai
tout projet d'avancement et de gloire; et, sans plus songer à des
talents vrais ou vains qui me prospéraient si peu, je consacrai mon
temps et mes soins à me procurer ma subsistance et celle de ma
Thérèse, comme il plairait à ceux qui se chargeraient d'y pourvoir.
Je m'attachai donc tout à fait à madame Dupin et à M. de Francueil.
Cela ne me jeta pas dans une grande opulence; car, avec huit à neuf
cents francs par an que j'eus les deux premières années, à peine
avais-je de quoi fournir à mes premiers besoins, forcé de me loger
à leur voisinage, en chambre garnie, dans un quartier assez cher,
et payant un autre loyer à l'extrémité de Paris, tout en haut de la
rue Saint-Jacques, où, quelque temps qu'il fît, j'allais souper
presque tous les soirs. Je pris bientôt le train et même le goût de
mes nouvelles occupations. Je m'attachai à la chimie; j'en fis
plusieurs cours avec M. de Francueil chez M. Rouelle; et nous nous
mîmes à barbouiller du papier tant bien que mal sur cette
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