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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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règne chez des
gens très aimables, et dans le fond très honnêtes gens; et je me
dis: Puisque c'est l'usage du pays, quand on y vit on peut le
suivre. Voilà l'expédient que je cherchais. Je m'y déterminai
gaillardement, sans le moindre scrupule; et le seul que j'eus à
vaincre fut celui de Thérèse, à qui j'eus toutes les peines du
monde de faire adopter cet unique moyen de sauver son honneur. Sa
mère, qui de plus craignait un nouvel embarras de marmaille, étant
venue à mon secours, elle se laissa vaincre. On choisit une
sage-femme prudente et sûre, appelée mademoiselle Gouin, qui
demeurait à la pointe Saint-Eustache, pour lui confier ce dépôt; et
quand le temps fut venu, Thérèse fut menée par sa mère chez la
Gouin pour y faire ses couches. J'allai l'y voir plusieurs fois, et
je lui portai un chiffre que j'avais fait à double sur deux cartes,
dont une fut mise dans les langes de l'enfant; et il fut déposé par
la sage-femme au bureau des Enfants-Trouvés, dans la forme
ordinaire. L'année suivante, même inconvénient et même expédient,
au chiffre près, qui fut négligé. Pas plus de réflexion de ma part,
pas plus d'approbation de celle de la mère: elle obéit en
gémissant. On verra successivement toutes les vicissitudes que
cette fatale conduite a produites dans ma façon de penser, ainsi
que dans ma destinée. Quant à présent, tenons-nous à cette première
époque. Ses suites, aussi cruelles qu'imprévues, ne me forceront
que trop d'y revenir.
    Je marque ici celle de ma première connaissance avec madame
d'Épinay, dont le nom reviendra souvent dans ces Mémoires: elle
s'appelait mademoiselle d'Esclavelles, et venait d'épouser M.
d'Épinay, fils de M. Lalive de Bellegarde, fermier général. Son
mari était musicien, ainsi que M. de Francueil. Elle était
musicienne aussi, et la passion de cet art mit entre ces trois
personnes une grande intimité. M. de Francueil m'introduisit chez
madame d'Épinay; j'y soupais quelquefois avec lui. Elle était
aimable, avait de l'esprit, des talents; c'était assurément une
bonne connaissance à faire. Mais elle avait une amie, appelée
mademoiselle d'Ette, qui passait pour méchante, et qui vivait avec
le chevalier de Valory, qui ne passait pas pour bon. Je crois que
le commerce de ces deux personnes fit tort à madame d'Épinay, à qui
la nature avait donné, avec un tempérament très exigeant, des
qualités excellentes pour en régler ou racheter les écarts. M. de
Francueil lui communiqua une partie de l'amitié qu'il avait pour
moi, et m'avoua ses liaisons avec elle, dont, par cette raison, je
ne parlerais pas ici si elles ne fussent devenues publiques au
point de n'être pas même cachées à M. d'Épinay. M. de Francueil me
fit même sur cette dame des confidences bien singulières, qu'elle
ne m'a jamais faites à moi-même, et dont elle ne m'a jamais cru
instruit; car je n'en ouvris ni n'en ouvrirai de ma vie la bouche
ni à elle ni à qui que ce soit. Toute cette confiance de part et
d'autre rendait ma situation très embarrassante surtout avec madame
de Francueil, qui me connaissait assez pour ne pas se défier de
moi, quoique en liaison avec sa rivale. Je consolais de mon mieux
cette pauvre femme, à qui son mari ne rendait assurément pas
l'amour qu'elle avait pour lui. J'écoutais séparément ces trois
personnes; je gardais leurs secrets avec la plus grande fidélité,
sans qu'aucune des trois m'en arrachât jamais aucun de ceux des
deux autres, et sans dissimuler à chacune des deux femmes mon
attachement pour sa rivale. Madame de Francueil, qui voulait se
servir de moi pour bien des choses, essuya des refus formels; et
madame d'Épinay, m'ayant voulu charger une fois d'une lettre pour
Francueil, non seulement en reçut un pareil, mais encore une
déclaration très nette que si elle voulait me chasser pour jamais
de chez elle, elle n'avait qu'à me faire une seconde fois pareille
proposition. Il faut rendre justice à madame d'Épinay: loin que ce
procédé parût lui déplaire, elle en parla à Francueil avec éloge,
et ne m'en reçut pas moins bien. C'est ainsi que, dans des
relations orageuses entre trois personnes que j'avais à ménager,
dont je dépendais en quelque sorte, et pour qui j'avais de
l'attachement, je conservai jusqu'à la fin leur amitié, leur
estime, leur confiance, en me conduisant avec douceur et
complaisance, mais toujours avec droiture et fermeté. Malgré ma
bêtise et ma gaucherie, madame d'Épinay voulut

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