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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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science,
dont nous possédions à peine les éléments. En 1747, nous allâmes
passer l'automne en Touraine, au château de Chenonceaux, maison
royale sur le Cher, bâtie par Henri second pour Diane de Poitiers,
dont on y voit encore les chiffres, et maintenant possédée par M.
Dupin, fermier général. On s'amusa beaucoup dans ce beau lieu; on y
faisait très bonne chère; j'y devins gras comme un moine. On y fit
beaucoup de musique. J'y composai plusieurs trios à chanter pleins
d'une assez forte harmonie, et dont je reparlerai peut-être dans
mon supplément, si jamais j'en fais un. On y joua la comédie. J'y
en fis, en quinze jours, une en trois actes, intitulée l'Engagement
téméraire qu'on trouvera parmi mes papiers, et qui n'a d'autre
mérite que beaucoup de gaieté. J'y composai d'autres petits
ouvrages, entre autres une pièce en vers intitulée l'Allée de
Sylvie, nom d'une allée du parc qui bordait le Cher; et tout cela
se fit sans discontinuer mon travail sur la chimie, et celui que je
faisais auprès de madame Dupin.
    Tandis que j'engraissais à Chenonceaux, ma pauvre Thérèse
engraissait à Paris d'une autre manière; et quand j'y revins, je
trouvai l'ouvrage que j'avais mis sur le métier plus avancé que je
ne l'avais cru. Cela m'eût jeté, vu ma situation, dans un embarras
extrême, si des camarades de table ne m'eussent fourni la seule
ressource qui pouvait m'en tirer. C'est un de ces récits essentiels
que je ne puis faire avec trop de simplicité, parce qu'il faudrait,
en les commentant, m'excuser ou me charger, et que je ne dois faire
ici ni l'un ni l'autre.
    Durant le séjour d'Altuna à Paris, au lieu d'aller manger chez
un traiteur, nous mangions ordinairement lui et moi à notre
voisinage, presque vis-à-vis le cul-de-sac de l'Opéra, chez une
madame la Selle, femme d'un tailleur, qui donnait assez mal à
manger, mais dont la table ne laissait pas d'être recherchée, à
cause de la bonne et sûre compagnie qui s'y trouvait; car on n'y
recevait aucun inconnu, et il fallait être introduit par quelqu'un
de ceux qui y mangeaient d'ordinaire. Le commandeur de Graville,
vieux débauché, plein de politesse et d'esprit, mais ordurier, y
logeait, et y attirait une folle et brillante jeunesse en officiers
aux gardes et mousquetaires. Le commandeur de Nonant, chevalier de
toutes les filles de l'Opéra, y apportait journellement toutes les
nouvelles de ce tripot. MM. Duplessis, lieutenant-colonel retiré,
bon et sage vieillard, et Ancelet, officier des mousquetaires, y
maintenaient un certain ordre parmi ces jeunes gens. Il y venait
aussi des commerçants, des financiers, des ouvriers, mais polis,
honnêtes, et de ceux qu'on distinguait dans leur métier; M. de
Besse, M. de Forcade, et d'autres dont j'ai oublié les noms. Enfin
l'on y voyait des gens de mise de tous les états, excepté des abbés
et des gens de robe, que je n'y ai jamais vus; et c'était une
convention de n'y en point introduire. Cette table, assez
nombreuse, était très gaie sans être bruyante, et l'on y
polissonnait beaucoup sans grossièreté. Le vieux commandeur, avec
tous ses contes gras quant à la substance, ne perdait jamais sa
politesse de la vieille cour, et jamais un mot de gueule ne sortait
de sa bouche qui ne fût si plaisant que des femmes l'auraient
pardonné. Son ton servait de règle à toute la table: tous ces
jeunes gens contaient leurs aventures galantes avec autant de
licence que de grâce: et les contes de filles manquaient d'autant
moins que le magasin était à la porte; car l'allée par où l'on
allait chez madame la Selle était la même où donnait la boutique de
la Duchapt, célèbre marchande de modes, qui avait alors de très
jolies filles avec lesquelles nos messieurs allaient causer avant
ou après dîner. Je m'y serais amusé comme les autres, si j'eusse
été plus hardi. Il ne fallait qu'entrer comme eux; je n'osai
jamais. Quant à madame la Selle, je continuai d'y aller manger
assez souvent après le départ d'Altuna. J'y apprenais des foules
d'anecdotes très amusantes, et j'y pris aussi peu à peu, non,
grâces au ciel, jamais les mœurs, mais les maximes que j'y vis
établies. D'honnêtes personnes, mises à mal, des maris trompés, des
femmes séduites, des accouchements clandestins, étaient là les
textes les plus ordinaires; et celui qui peuplait le mieux les
Enfants-Trouvés était toujours le plus applaudi. Cela me gagna; je
formai ma façon de penser sur celle que je voyais en

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