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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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j'allai m'enfermer chez
moi; et dans trois semaines j'eus fait, à la place du Tasse, un
autre acte, dont le sujet était Hésiode inspiré par une muse. Je
trouvai le secret de faire passer dans cet acte une partie de
l'histoire de mes talents, et de la jalousie dont Rameau voulait
bien les honorer. Il y avait dans ce nouvel acte une élévation
moins gigantesque et mieux soutenue que celle du Tasse; la musique
en était aussi noble et beaucoup mieux faite; et si les deux autres
actes avaient valu celui-là, la pièce entière eût avantageusement
soutenu la représentation: mais tandis que j'achevais de la mettre
en état, une autre entreprise suspendit l'exécution de
celle-là.
    L'hiver qui suivit la bataille de Fontenoy il y eut beaucoup de
fêtes à Versailles, entre autres plusieurs opéras au théâtre des
Petites-Écuries. De ce nombre fut le drame de Voltaire, intitulé la
Princesse de Navarre, dont Rameau avait fait la musique, et qui
venait d'être changé et réformé sous le nom des Fêtes de Ramire. Ce
nouveau sujet demandait plusieurs changements aux divertissements
de l'ancien, tant dans les vers que dans la musique. Il s'agissait
de trouver quelqu'un qui pût remplir ce double objet. Voltaire,
alors en Lorraine, et Rameau, tous deux occupés pour lors à l'opéra
du Temple de la Gloire, ne pouvant donner des soins à celui-là, M.
de Richelieu pensa à moi, me fit proposer de m'en charger: et pour
que je pusse examiner mieux ce qu'il y avait à faire, il m'envoya
séparément le poème et la musique. Avant toute chose, je ne voulus
toucher aux paroles que de l'aveu de l'auteur; et je lui écrivis à
ce sujet une lettre très honnête, et même respectueuse, comme il
convenait. Voici sa réponse, dont l'original est dans la liasse A,
no I.
    "15 décembre 1745.
    Vous réunissez, monsieur, deux talents qui ont toujours été
séparés jusqu'à présent. Voilà déjà deux bonnes raisons pour moi de
vous estimer et de chercher à vous aimer. Je suis fâché pour vous
que vous employiez ces deux talents à un ouvrage qui n'en est pas
trop digne. Il y a quelques mois que M. le duc de Richelieu
m'ordonna absolument de faire en un clin d'oeil une petite et
mauvaise esquisse de quelques scènes insipides et tronquées, qui
devaient s'ajuster à des divertissements qui ne sont point faits
pour elles. J'obéis avec la plus grande exactitude; je fis très
vite et très mal. J'envoyai ce misérable croquis à M. le duc de
Richelieu, comptant qu'il ne servirait pas, ou que je le
corrigerais. Heureusement il est entre vos mains, vous en êtes le
maître absolu; j'ai perdu entièrement tout cela de vue. Je ne doute
pas que vous n'ayez rectifié toutes les fautes échappées
nécessairement dans une composition si rapide d'une simple
esquisse, que vous n'ayez suppléé à tout.
    Je me souviens qu'entre autres balourdises, il n'est pas dit,
dans ces scènes qui lient les divertissements, comment la princesse
Grenadine passe tout d'un coup d'une prison dans un jardin ou dans
un palais. Comme ce n'est point un magicien qui lui donne des
fêtes, mais un seigneur espagnol, il me semble que rien ne doit se
faire par enchantement. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien
revoir cet endroit, dont je n'ai qu'une idée confuse. Voyez s'il
est nécessaire que la prison s'ouvre, et qu'on fasse passer notre
princesse de cette prison dans un beau palais doré et verni,
préparé pour elle. Je sais très bien que tout cela est fort
misérable, et qu'il est au-dessous d'un être pensant de faire une
affaire sérieuse de ces bagatelles; mais enfin, puisqu'il s'agit de
déplaire le moins qu'on pourra, il faut mettre le plus de raison
qu'on peut, même dans un mauvais divertissement d'opéra.
    Je me rapporte de tout à vous et à M. Ballod, et je compte avoir
bientôt l'honneur de vous faire mes remerciements, et de vous
assurer, monsieur, à quel point j'ai celui d'être, etc."
    Qu'on ne soit pas surpris de la grande politesse de cette
lettre, comparée aux autres lettres demi-cavalières qu'il m'a
écrites depuis ce temps-là. Il me crut en grande faveur auprès de
M. de Richelieu; et la souplesse courtisane qu'on lui connaît
l'obligeait à beaucoup d'égards pour un nouveau venu, jusqu'à ce
qu'il connût mieux la mesure de son crédit.
    Autorisé par M. de Voltaire et dispensé de tous égards pour
Rameau, qui ne cherchait qu'à me nuire, je me mis au travail, et en
deux mois ma besogne fut faite. Elle se borna, quant aux vers,

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