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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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d'autres fadaises
comme cela. Mais ce qui l'amusait n'était pas tant de les écrire
que de les lire; et s'il lui arrivait de barbouiller de suite deux
ou trois pages, il fallait qu'elle fût sûre au moins de deux ou
trois auditeurs bénévoles, au bout de cet immense travail. Je
n'avais guère l'honneur d'être au nombre des élus, qu'à la faveur
de quelque autre. Seul, j'étais presque toujours compté pour rien
en toute chose; et cela non seulement dans la société de madame
d'Épinay, mais dans celle de M. d'Holbach, et partout où M. Grimm
donnait le ton. Cette nullité m'accommodait fort partout ailleurs
que dans le tête-à-tête, où je ne savais quelle contenance tenir,
n'osant parler de littérature, dont il ne m'appartenait pas de
juger, ni de galanterie, étant trop timide, et craignant plus que
la mort le ridicule d'un vieux galant, outre que cette idée ne me
vint jamais près de madame d'Épinay, et ne m'y serait peut-être pas
venue une seule fois en ma vie, quand je l'aurais passée entière
auprès d'elle: non que j'eusse pour sa personne aucune répugnance;
au contraire, je l'aimais peut-être trop comme ami, pour pouvoir
l'aimer comme amant. Je sentais du plaisir à la voir, à causer avec
elle. Sa conversation, quoique assez agréable en cercle, était
aride en particulier; la mienne, qui n'était pas plus fleurie,
n'était pas pour elle d'un grand secours. Honteux d'un trop long
silence, je m'évertuais pour relever l'entretien; et quoiqu'il me
fatiguât souvent, il ne m'ennuyait jamais. J'étais fort aise de lui
rendre de petits soins, de lui donner de petits baisers bien
fraternels, qui ne me paraissaient pas plus sensuels pour elle:
c'était là tout. Elle était fort maigre, fort blanche, de la gorge
comme sur ma main. Ce défaut seul eût suffi pour me glacer: jamais
mon cœur ni mes sens n'ont su voir une femme dans quelqu'un qui
n'eût pas des tétons; et d'autres causes inutiles à dire m'ont
toujours fait oublier son sexe auprès d'elle.
    Ayant ainsi pris mon parti sur un assujettissement nécessaire,
je m'y livrai sans résistance, et le trouvai, du moins la première
année, moins onéreux que je ne m'y serais attendu. Madame d'Épinay,
qui d'ordinaire passait l'été presque entier à la campagne, n'y
passa qu'une partie de celui-ci, soit que ses affaires la
retinssent davantage à Paris, soit que l'absence de Grimm lui
rendît moins agréable le séjour de la Chevrette. Je profitai des
intervalles qu'elle n'y passait pas, ou durant lesquels elle y
avait beaucoup de monde, pour jouir de ma solitude avec ma bonne
Thérèse et sa mère, de manière à m'en bien faire sentir le prix.
Quoique depuis quelques années j'allasse assez fréquemment à la
campagne, c'était presque sans la goûter; et ces voyages, toujours
faits avec des gens à prétentions, toujours gâtés par la gêne, ne
faisaient qu'aiguiser en moi le goût des plaisirs rustiques, dont
je n'entrevoyais de plus près l'image que pour mieux sentir leur
privation. J'étais si ennuyé de salons, de jets d'eau, de bosquets,
de parterres, et des plus ennuyeux montreurs de tout cela; j'étais
si excédé de brochures, de clavecin, de tri, de nœuds, de sots bons
mots, de fades minauderies, de petits conteurs et de grands
soupers, que quand je lorgnais du coin de l'oeil un simple pauvre
buisson d'épines, une haie, une grange, un pré; quand je humais, en
traversant un hameau, la vapeur d'une bonne omelette au cerfeuil;
quand j'entendais de loin le rustique refrain de la chanson des
bisquières, je donnais au diable et le rouge, et les falbalas, et
l'ambre; et, regrettant le dîner de la ménagère et le vin du cru,
j'aurais de bon cœur paumé la gueule à monsieur le chef et à
monsieur le maître, qui me faisaient dîner à l'heure où je soupe,
souper à l'heure où je dors; mais surtout à messieurs les laquais,
qui dévoraient des yeux mes morceaux, et, sous peine de mourir de
soif, me vendaient le vin drogué de leur maître dix fois plus cher
que je n'en aurais payé de meilleur au cabaret.
    Me voilà donc enfin chez moi, dans un asile agréable et
solitaire, maître d'y couler mes jours dans cette vie indépendante,
égale et paisible, pour laquelle je me sentais né. Avant de dire
l'effet que cet état, si nouveau pour moi, fit sur mon cœur, il
convient d'en récapituler les affections secrètes, afin qu'on suive
mieux dans ses causes le progrès de ces nouvelles
modifications.
    J'ai toujours regardé le jour qui

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