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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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devinrent autant de sangsues, dont le
moindre mal qu'ils fissent à Thérèse était de la voler. La pauvre
fille, accoutumée à fléchir, même sous ses nièces, se laissait
dévaliser et gouverner sans mot dire; et je voyais avec douleur
qu'épuisant ma bourse et mes leçons, je ne faisais rien pour elle
dont elle pût profiter. J'essayai de la détacher de sa mère; elle y
résista toujours. Je respectai sa résistance, et l'en estimai
davantage: mais son refus n'en tourna pas moins à son préjudice et
au mien. Livrée à sa mère et aux siens, elle fut à eux plus qu'à
moi, plus qu'à elle-même; leur avidité lui fut moins ruineuse que
leurs conseils ne lui furent pernicieux; enfin, si, grâce à son
amour pour moi, si, grâce à son bon naturel, elle ne fut pas tout à
fait subjuguée, c'en fut assez du moins pour empêcher, en grande
partie, l'effet des bonnes maximes que je m'efforçais de lui
inspirer; c'en fut assez pour que, de quelque façon que je m'y sois
pu prendre, nous ayons toujours continué d'être deux.
    Voilà comment, dans un attachement sincère et réciproque, où
j'avais mis toute la tendresse de mon cœur, le vide de ce cœur ne
fut pourtant jamais bien rempli. Les enfants, par lesquels il l'eût
été, vinrent; ce fut encore pis. Je frémis de les livrer à cette
famille mal élevée, pour en être élevés encore plus mal. Les
risques de l'éducation des Enfants-Trouvés étaient beaucoup
moindres. Cette raison du parti que je pris, plus forte que toutes
celles que j'énonçai dans ma lettre à madame de Francueil, fut
pourtant la seule que je n'osai lui dire. J'aimais mieux être moins
disculpé d'un blâme aussi grave, et ménager la famille d'une
personne que j'aimais. Mais on peut juger, par les mœurs de son
malheureux frère, si jamais, quoi qu'on en pût dire, je devais
exposer mes enfants à recevoir une éducation semblable à la
sienne.
    Ne pouvant goûter dans sa plénitude cette intime société dont je
sentais le besoin, j'y cherchais des suppléments qui n'en
remplissaient pas le vide, mais qui me le laissaient moins sentir.
Faute d'un ami qui fût à moi tout entier, il me fallait des amis
dont l'impulsion surmontât mon inertie: c'est ainsi que je
cultivai, que je resserrai mes liaisons avec Diderot, avec l'abbé
de Condillac; que j'en fis avec Grimm une nouvelle plus étroite
encore; et qu'enfin je me trouvai par ce malheureux discours, dont
j'ai raconté l'histoire, rejeté, sans y songer, dans la
littérature, dont je me croyais sorti pour toujours.
    Mon début me mena par une route nouvelle dans un autre monde
intellectuel, dont je ne pus sans enthousiasme envisager la simple
et fière économie. Bientôt, à force de m'en occuper, je ne vis plus
qu'erreur et folie dans la doctrine de nos sages, qu'oppression et
misère dans notre ordre social. Dans l'illusion de mon sot orgueil,
je me crus fait pour dissiper tous ces prestiges; et jugeant que,
pour me faire écouter, il fallait mettre ma conduite d'accord avec
mes principes, je pris l'allure singulière qu'on ne m'a pas permis
de suivre, dont mes prétendus amis ne m'ont pu pardonner l'exemple,
qui d'abord me rendit ridicule, et qui m'eût enfin rendu
respectable, s'il m'eût été possible d'y persévérer.
    Jusque-là j'avais été bon; dès lors je devins vertueux, ou du
moins enivré de la vertu. Cette ivresse avait commencé dans ma
tête, mais elle avait passé dans mon cœur. Le plus noble orgueil y
germa sur les débris de la vanité déracinée. Je ne jouai rien; je
devins en effet tel que je parus; et pendant quatre ans au moins
que dura cette effervescence dans toute sa force, rien de grand et
de beau ne peut entrer dans un cœur d'homme, dont je ne fusse
capable entre le ciel et moi. Voilà d'où naquit ma subite
éloquence, voilà d'où se répandit dans mes premiers livres ce feu
vraiment céleste qui m'embrasait, et dont pendant quarante ans il
ne s'était pas échappé la moindre étincelle, parce qu'il n'était
pas encore allumé.
    J'étais vraiment transformé; mes amis, mes connaissances ne me
reconnaissaient plus. Je n'étais plus cet homme timide et plutôt
honteux que modeste, qui n'osait ni se présenter, ni parler, qu'un
mot badin déconcertait, qu'un regard de femme faisait rougir.
Audacieux, fier, intrépide, je portais partout une assurance
d'autant plus ferme qu'elle était simple, et résidait dans mon âme
plus que dans mon maintien. Le mépris que mes profondes méditations
m'avaient

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