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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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jour plus flagorneuse et plus pateline
avec moi; ce qui ne l'empêchait pas de reprocher sans cesse en
secret à sa fille qu'elle m'aimait trop, qu'elle me disait tout,
qu'elle n'était qu'une bête, et qu'elle en serait la dupe. Cette
femme possédait au suprême degré l'art de tirer d'un sac dix
moutures, de cacher à l'un ce qu'elle recevait de l'autre, et à moi
ce qu'elle recevait de tous. J'aurais pu lui pardonner son avidité,
mais je ne pouvais lui pardonner sa dissimulation. Que pouvait-elle
avoir à me cacher, à moi, qu'elle savait si bien qui faisais mon
bonheur presque unique de celui de sa fille et du sien? Ce que
j'avais fait pour sa fille, je l'avais fait pour moi; mais ce que
j'avais fait pour elle méritait de sa part quelque reconnaissance;
elle en aurait dû savoir gré du moins à sa fille, et m'aimer pour
l'amour d'elle, qui m'aimait. Je l'avais tirée de la plus complète
misère; elle tenait de moi sa subsistance, elle me devait toutes
les connaissances dont elle tirait si bon parti. Thérèse l'avait
longtemps nourrie de son travail, et la nourrissait maintenant de
mon pain. Elle tenait tout de cette fille, pour laquelle elle
n'avait rien fait; et ses autres enfants qu'elle avait dotés, pour
lesquels elle s'était ruinée, loin de lui aider à subsister,
dévoraient encore sa subsistance et la mienne. Je trouvais que dans
une pareille situation elle devait me regarder comme son unique
ami, son plus sûr protecteur, et, loin de me faire un secret de mes
propres affaires, loin de comploter contre moi dans ma propre
maison, m'avertir fidèlement de tout ce qui pouvait m'intéresser,
quand elle l'apprenait plus tôt que moi. De quel oeil pouvais-je
donc voir sa conduite fausse et mystérieuse; Que devais-je penser
surtout des sentiments qu'elle s'efforçait de donner à sa fille?
Quelle monstrueuse ingratitude devait être la sienne, quand elle
cherchait à lui en inspirer?
    Toutes ces réflexions aliénèrent enfin mon cœur de cette femme
au point de ne pouvoir plus la voir sans dédain. Cependant je ne
cessai jamais de traiter avec respect la mère de ma compagne, et de
lui marquer en toutes choses presque les égards et la considération
d'un fils; mais il est vrai que je n'aimais pas à rester longtemps
avec elle, et il n'est guère en moi de savoir me gêner.
    C'est encore ici un de ces courts moments de ma vie où j'ai vu
le bonheur de bien près, sans pouvoir l'atteindre, et sans qu'il y
ait eu de ma faute à l'avoir manqué. Si cette femme se fût trouvée
d'un bon caractère, nous étions heureux tous les trois jusqu'à la
fin de nos jours; le dernier vivant seul fût resté à plaindre. Au
lieu de cela, vous allez voir la marche des choses, et vous jugerez
si j'ai pu la changer.
    Madame le Vasseur, qui vit que j'avais gagné du terrain sur le
cœur de sa fille, et qu'elle en avait perdu, s'efforça de le
reprendre; et, au lieu de revenir à moi par elle, tenta de me
l'aliéner tout à fait. Un des moyens qu'elle employa fut d'appeler
sa famille à son aide. J'avais prié Thérèse de n'en faire venir
personne à l'Ermitage; elle me le promit. On les fit venir en mon
absence, sans la consulter; et puis on lui fit promettre de ne m'en
rien dire. Le premier pas fait, tout le reste fut facile; quand une
fois on a fait à quelqu'un qu'on aime un secret de quelque chose,
on ne se fait bientôt plus guère de scrupule de lui en faire sur
tout. Sitôt que j'étais à la Chevrette, l'Ermitage était plein de
monde qui s'y réjouissait assez bien. Une mère est toujours bien
forte sur une fille d'un bon naturel; cependant, de quelque façon
que s'y prît la vieille, elle ne put jamais faire entrer Thérèse
dans ses vues, et l'engager à se liguer contre moi. Pour elle, elle
se décida sans retour: et voyant d'un côté sa fille et moi, chez
qui l'on pouvait vivre, et puis c'était tout; de l'autre, Diderot,
Grimm, d'Holbach, madame d'Épinay, qui promettaient beaucoup et
donnaient quelque chose, elle n'estima pas qu'on pût jamais avoir
tort dans le parti d'une fermière générale et d'un baron. Si
j'eusse eu de meilleurs yeux, j'aurais vu dès lors que je
nourrissais un serpent dans mon sein; mais mon aveugle confiance,
que rien encore n'avait altérée, était telle, que je n'imaginais
pas même qu'on pût vouloir nuire à quelqu'un qu'on devait aimer. En
voyant ourdir autour de moi mille trames, je ne savais me plaindre
que de la tyrannie de ceux que j'appelais mes amis, et qui
voulaient,

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