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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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voyais presque tous les jours,
et toujours l'amour en tiers entre elle et moi. Nous avions soupé
tête-à-tête, nous étions seuls, dans un bosquet au clair de lune;
et après deux heures de l'entretien le plus vif et le plus tendre,
elle sortit au milieu de la nuit de ce bosquet et des bras de son
ami, aussi intacte, aussi pure de corps et de cœur qu'elle y était
entrée. Lecteur, pesez toutes ces circonstances, je n'ajouterai
rien de plus.
    Et qu'on n'aille pas s'imaginer qu'ici mes sens me laissaient
tranquille, comme auprès de Thérèse et de maman. Je l'ai déjà dit,
c'était de l'amour cette fois, et l'amour dans toute son énergie et
dans toutes ses fureurs. Je ne décrirai ni les agitations, ni les
frémissements, ni les palpitations, ni les mouvements convulsifs,
ni les défaillances de cœur que j'éprouvais continuellement; on en
pourra juger par l'effet que sa seule image faisait sur moi. J'ai
dit qu'il y avait loin de l'Ermitage à Eaubonne: je passais par les
coteaux d'Andilly, qui sont charmants. Je rêvais en marchant à
celle que j'allais voir, à l'accueil caressant qu'elle me ferait,
au baiser qui m'attendait à mon arrivée. Ce seul baiser, ce baiser
funeste, avant même de le recevoir, m'embrasait le sang à tel
point, que ma tête se troublait; un éblouissement m'aveuglait, mes
genoux tremblants ne pouvaient me soutenir; j'étais forcé de
m'arrêter, de m'asseoir; toute ma machine était dans un désordre
inconcevable: j'étais prêt à m'évanouir. Instruit du danger, je
tâchais, en partant, de me distraire et de penser à autre chose. Je
n'avais pas fait vingt pas, que les mêmes souvenirs et tous les
accidents qui en étaient la suite revenaient m'assaillir sans qu'il
me fût possible de m'en délivrer; et, de quelque façon que je m'y
sois pu prendre, je ne crois pas qu'il me soit arrivé de faire seul
ce trajet impunément. J'arrivais à Eaubonne, faible, épuisé, rendu,
me soutenant à peine. A l'instant que je la voyais, tout était
réparé; je ne sentais plus auprès d'elle que l'importunité d'une
vigueur inépuisable et toujours inutile. Il y avait sur ma route, à
la vue d'Eaubonne, une terrasse agréable, appelée le mont Olympe,
où nous nous rendions quelquefois, chacun de notre côté. J'arrivais
le premier: j'étais fait pour l'attendre; mais que cette attente me
coûtait cher! Pour me distraire, j'essayais d'écrire avec mon
crayon des billets que j'aurais pu tracer du plus pur de mon sang:
je n'en ai jamais pu achever un qui fût lisible. Quand elle en
trouvait un dans la niche dont nous étions convenus, elle n'y
pouvait voir autre chose que l'état vraiment déplorable où j'étais
en l'écrivant. Cet état, et surtout sa durée pendant trois mois
d'irritation continuelle et de privations, me jeta dans un
épuisement dont je n'ai pu me tirer de plusieurs années, et finit
par me donner une descente que j'emporterai ou qui m'emportera au
tombeau. Telle a été la seule jouissance amoureuse de l'homme du
tempérament le plus combustible, mais le plus timide en même temps,
que peut-être la nature ait jamais produit. Tels ont été les
derniers beaux jours qui m'aient été comptés sur la terre: ici
commence le long tissu des malheurs de ma vie, où l'on verra peu
d'interruption.
    On a vu dans tout le cours de ma vie que mon cœur, transparent
comme le cristal, n'a jamais su cacher, durant une minute entière,
un sentiment un peu vif qui s'y fût réfugié. Qu'on juge s'il me fût
possible de cacher longtemps mon amour pour madame d'Houdetot.
Notre intimité frappait tous les yeux, nous n'y mettions ni secret
ni mystère. Elle n'était pas de nature à en avoir besoin; et comme
madame d'Houdetot avait pour moi l'amitié la plus tendre, qu'elle
ne se reprochait point; que j'avais pour elle une estime dont
personne ne connaissait mieux que moi toute la justice; elle,
franche, distraite, étourdie; moi, vrai, maladroit, fier,
impatient, emporté, nous donnions encore sur nous, dans notre
trompeuse sécurité, beaucoup plus de prise que nous n'aurions fait,
si nous eussions été coupables. Nous allions l'un et l'autre à la
Chevrette, nous nous y trouvions souvent ensemble, quelquefois même
par rendez-vous. Nous y vivions à notre ordinaire, nous promenant
tous les jours tête à tête, en parlant de nos amours, de nos
devoirs, de notre ami, de nos innocents projets, dans le parc,
vis-à-vis l'appartement de madame d'Épinay, sous ses fenêtres,
d'où, ne cessant de

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